mercredi 13 mai 2020

Le Coin des libraires - La nuit introuvable de Gabrielle Tuloup

Voici une de mes lectures improbables de l'année 2018 (j'ai perdu cet article dans les méandres de mon ordinateur, le voici donc !). L'auteure m'était inconnue, tout autant que son premier roman, La nuit introuvable. Ayant été bénévole durant le salon du livre de ma ville, j'ai assisté à une rencontre où l'auteure parlait justement de son roman. Il ne m'en a pas fallu beaucoup pour me convaincre. 




Deux personnages, Nathan et sa mère, Marthe. Le roman étant assez court, on entre très vite dans l'histoire. Nathan est un être qui semble vivre de manière solitaire depuis longtemps maintenant, et plus encore depuis la mort de son père. N'ayant jamais eu une vraie relation avec sa mère ils ont vite perdu le contact. Qu'elle n'est pas sa surprise le jour où il reçoit un coup de fil d'une voisine de sa mère. 

Le récit à deux voix est enclenché. On va suivre d'un côté le présent, lorsque Nathan apprend que Marthe est atteinte d'Alzheimer et qu'elle a exprimé une volonté : son fils doit lui rendre huit fois visite. Huit visites où, à la fin, on lui remettra une des huit lettres qu'elle lui a laissé. 
C'est une manière de s'expliquer, de se dédouaner peut-être, mais surtout c'est une façon de prouver son amour pour ce fils qu'elle n'a jamais réellement chéri sans raison, du moins, en apparence. Le passé est bien évidemment celui de Marthe, celui de ses lettres. Comment était son enfance, sa propre mère, comment elle a rencontré son père, etc. Chaque lettre permet d'en apprendre plus sur cette femme, protagoniste au même titre que Nathan, mais protagoniste fantomatique. 

Durant tout le roman on a l'impression que Marthe n'est déjà plus qu'une ombre, un être qui se transforme en fumée au fur et à mesure de la lecture. 
Je pense que ce sentiment que j'ai ressenti à l'égard de Marthe est tout à fait normal. Elle est atteinte d'Alzheimer après tout. 

Depuis quelque temps la vie est parfois un peu floue. J’ai du mal à distinguer hier d’avant-hier, et les mots qui ont une consonance proche prennent un malin plaisir à jouer à cache-cache les uns dernière les autres. 

C'est justement ce qui m'a intéressé quand j'ai entendu parler du livre : l'utilisation de cette maladie incurable. Si vous me lisez régulièrement vous savez forcément que la mémoire, les souvenirs, l'oubli sont des sujets de prédilection, j'adore lire des livres autour de ces thèmes, il m'est donc apparu évident de lire cet ouvrage. 
Et je n'ai pas été déçue. Comme je le disais plus haut, on entre directement dans l'histoire. On suit à la base un personnage assez antipathique (ce qui ne m'a pas du tout étonné), mais on sent bien qu'il s'agit d'un homme en peine, seul et perdu. 

J'ai dévoré ce livre parce que je voulais en savoir plus. Pas sur Nathan, mais sur sa mère. Marthe est un personnage fort, elle est au centre du récit, au centre de l'écriture de l'ouvrage aussi je pense. L'auteure a crée un personnage complexe et complet. Si je me suis attachée à Nathan, notamment grâce à son enfance assez difficile auprès de sa mère, je me suis encore plus identifiée à Marthe que j'ai trouvé extrêmement forte tout au long de son récit. Cette force qui transparaît de ses lettres est mise en balance avec la fragilité du personnage, le besoin d'autrui sous peine de se blesser (je pense au passage où ils se promènent au Luxembourg par exemple), la nécessité de continuer à vivre une vie qui n'est plus la sienne lorsque l'on oublie tout.

Moi aussi, Nathan j’ai mes sillons et mes parcelles disparues trop tôt. Je signe un bail avec l’oubli, mais qui gardera la mémoire de mes biens, de mes compromis, de mes dédits ? Il ne reste déjà qu’un bien maigre territoire de mon passé. Tout file. Ton père est mort et tu es parti loin. À moins que ce soit moi qui n’aie jamais pu être proche.
Je ne veux surtout pas emporter mon secret. Mes vices cachés le sont au pli d’une ride mais les caresses de Jacques ne me lisent plus. Ton père avait de ces mains qui savent quand la peau braille d’avoir eu mal quelque part. Le corps qu’on n’aime plus se tait doucement. 

Et puis il y a cette fin... tellement déchirante. 

Rien que d'y repenser j'en ai le coeur qui se serre. On s'y attend et pourtant ça reste douloureux.
J'ai adoré cet ouvrage, j'ai aimé Nathan et Marthe pour ce qu'ils sont, des membres d'une famille dysfonctionnelle, des êtres qui s'aiment outre mesure mais qui ne sont jamais parvenus à se le montrer. Était-il trop tard ? Non, je ne crois pas. 

Si j'ai autant aimé cette lecture c'est en grande partie grâce à la plume de l'auteure qui est absolument magnifique, à la fois poétique et débordante de simplicité. 
Dans tous les cas cet ouvrage aura été une grande surprise et je ne regrette absolument pas de l'avoir lu, d'avoir pu le faire dédicacer. Il prend une place particulière dans ma vie de lectrice et j'en suis très heureuse. 

La maladie avait maintenant fait de ma mère une veille dame fugueuse, qui s’écorchait les jambes et les ongles à gratter à la porte de ses souvenirs et qui vérifiait vingt fois les poches de sa robe de chambre pour y retrouver sa mémoire. Mais les poches étaient vides.







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