mercredi 22 janvier 2020

Le Coin des libraires - Brûlant secret de Stefan Zweig

Je continue ma découverte de la bibliographie d'un de mes auteurs favoris : Stefan Zweig, par le biais d'un recueil de quatre nouvelles titré par la première : Brûlant secret


Avec ces quatre nouvelles, Stefan Zweig fait preuve une fois encore d'inventivité et de précision dans la description des sentiments et des événements. 
Une première nouvelle qui donne envie, suivie de deux autres tout aussi passionnantes, la dernière, Les deux jumelles est celle qui m'a le moins intéressée. Pour cette raison, j'ai décidé d'aborder les trois premières nouvelles du recueil et de laisser de côté Les deux jumelles.


  • Brûlant secret (1911, publication originale)

Dans cette première nouvelle, un baron viennois part dans le Semmering pour les vacances. Il ne connaît personne parmi les résidents de l'hôtel, il s'ennuie et décide d'occuper son temps en séduisant une jeune femme, mère du petit Edgar.

Si de prime abord le baron apparaît comme le protagoniste, il n'en est rien. Il semble plus être le prétexte pour introduire le véritable personnage principal : Edgar, cet enfant maladif et solitaire.
Pour la première fois, j'ai découvert le portrait d'un enfant sous la plume de l'écrivain autrichien.

J'ai énormément aimé le changement de tempérament chez celui-ci, sa réflexion, son ingéniosité. Malgré la brièveté du texte, Zweig, en maître incontesté de la nouvelle parvient à faire évoluer son personnage pour arriver à une conclusion des plus passionnantes.

En effet, le Semmering sera le lieu d'apprentissage pour Edgar, le lieu où il découvrira un monde qu'il ne connaît pas, le lieu qui lui permettra de tenter de s'émanciper tout en lui faisant prendre conscience de la réalité dans laquelle il n'a jamais vécu auparavant.
Si j'ai pu m'interroger sur le titre de certaines nouvelles - c'est le cas pour Wondrak par exemple - je trouve que Brûlant secret est parfaitement adéquat pour illustrer l'histoire qui nous est contée.
C'est bien parce qu'Edgar comprend qu'il y a un secret entre sa mère et le baron qu'il va commencer à réfléchir, à évoluer d'enfant jaloux et capricieux à celui de déserteur.

La tristesse le prend. Celle ressentie quand nous aussi on comprend que sa propre mère préfère la compagnie d'un homme à celle de son fils ou encore lorsque l'on comprend que son premier ami n'est en réalité qu'un profiteur, un homme abject prêt à mentir pour arriver à ses fins.
On comprend la peine d'Edgar, le fait qu'il se sente délaissé et perdu, mais paradoxalement, on ressent aussi de la colère envers lui. Pourquoi se montrer si virulent, pourquoi ressent-il le besoin de les espionner ?

Ses raisons peuvent être compréhensibles (il veut démasquer le baron, puisqu'il pense que celui-ci est un être dangereux) autant que complètement répréhensibles.

Finalement, ce garçon tout aussi amusant qu'énervant va se révéler attachant dès le moment où il décide de partir, de prendre le train. J'ai énormément aimé le moment où il se retrouve seul, où il comprend lui-même qu'il voulait être traité en adulte, mais qu'il reste un enfant, incapable de connaître la valeur des choses. Sa peur me l'a rendu agréable, contrairement au baron qui reste à l'état de profiteur, de coureur de jupons et de lâche (sa dernière apparition...).

Edgar refuse d'être utilisé comme appât, il refuse que les adultes se servent de son jeune âge pour le manipuler. C'est par ce rejet qu'Edgar va découvrir l'inconnu, qu'il va entrer dans le monde des grands, lui qui se trouve trop vieux pour être traité en enfant.
La jalousie est au centre de cette nouvelle, mais pour une fois, ce n'est pas simplement une jalousie d'amoureux, c'est une jalousie amicale autant que filiale. Lequel des deux hommes aura la mère ?

Une ombre d’ennui qui se dissimulait dans ses yeux sombres, sous forme de mélancolie, planait sur son existence et obscurcissait sa sensualité. 

  • Conte crépusculaire 

Le passage à l'âge adulte, la découverte du désir et de l'amour. Le narrateur va nous raconter une histoire, celle de Bob, jeune homme passant ses vacances dans un château en Ecosse, l'année de ses 15 ans.
Récit enchâssé donc, et c'est par le biais de ce narrateur que l'on va découvrir Bob et ainsi partager ses premiers émois.

Or, il est bon de préciser que personne ne reconnaît l'existence de cette histoire.
Souvenir ou fantasme du narrateur, on ne saura jamais.

L'important, ce n'est pas tant son aspect réel que son propos : une passion dévorante d'adolescent.
Lors de ses vacances, Bob va souvent se réfugier dans le jardin du château, jusqu'au soir où, au crépuscule, il reçoit une étrange visite.
Femme aussi parfaite qu'évanescente, Bob va tenter de la retrouver par tous les moyens possibles. Qui peut-elle bien être ?
Probablement l'une de ses trois cousines avec qui il passe le séjour.

Tandis que l'inconnue reste une figure fantomatique, le jeune homme s'interroge : laquelle des trois est celle qui a fait chavirer son coeur ? Laquelle possède ce magnétisme, cette force érotique qui hante les songes de notre personnage ?

Le gros plus de cette nouvelle, c'est pour moi l'atmosphère. L'obscurité qui s'en dégage, le souvenir lointain qui n'est peut-être même pas un souvenir. Bob découvre le désir, l'envie. Ce sont ses premiers pas amoureux. L'amour est déçu, l'amour est passager. C'est sans doute le constat que l'on peut faire à la fin de cette nouvelle.
On retrouve le génie de l'auteur qui parvient avec talent à décrire la passion, les heures passées dans la félicité auprès de la femme et celles d'après-coup, empli de doute et de solitude.

Finalement le protagoniste fait un bond dans le temps, lorsque Bob est devenu un homme et que cette histoire l'a paralysé. Il est désormais insensible aux femmes et à l'amour, le passé étant trop parfait pour espérer quelque chose du futur.
Le narrateur finit par nous livrer l'origine de son histoire.
J'ai d'ailleurs adoré les dernières phrases de la nouvelle, l'explication du narrateur par rapport à son histoire et à la réception qu'il attendait de celle-ci :

"Vois-tu, je ne voulais pas que ce récit fût sombre ni mélancolique, je désirais simplement te parler d’un adolescent que l’amour a surpris, le sien et celui d’une autre personne. Mais les histoires que l’on raconte à cette heure suivent toutes le doux sentier de la mélancolie. Le crépuscule étend sur elles ses voiles, toute la tristesse que le soir porte en lui forme au-dessus d’elles une voûte où nulle étoile ne scintille ; l’ombre s’y infiltre peu à peu et tous les mots brillants et colorés qu’elles renferment prennent alors une sonorité pleine et grave, comme s’ils venaient des profondeurs de notre âme."

  • La nuit fantastique

Sous-titrée Notes posthumes du baron de R..., Zweig ici met en scène un baron, un homme de la "bonne société" viennoise qui, de prime abord, apparaît comme aussi riche que détestable.

Ce baron est le narrateur, il va tenter de nous expliquer à quel point la "nuit fantastique" a provoqué un bouleversement dans sa vie. Son personnage m'a fait penser à celui de Joseph Roth dans La crypte des capucins où François-Ferdinand n'est autre qu'un riche bourgeois résidant à Vienne avant la chute de l'Empire Austro-Hongrois. D'une oisiveté connue et acceptée seulement chez une certaine partie de la population (la plus riche, bien évidemment), le baron ne sait rien faire et n'a jamais eu d'ambition non plus.

Il commence alors à nous raconter qu'il n'a donc jamais rien fait de sa vie, il a vécu dans la félicité, entre les promenades, les sorties mondaines, la culture. Bref, notre cher baron a absolument tout ce que tout le monde désir : une vie libre, loin des obligations du travail et la possibilité de profiter un maximum de son temps.
Autant le dire, le baron apparaît comme franchement méprisable au début. Le gars a quand même toujours eu ce qu'il souhaitait sans jamais se démener pour, sa vie est d'une pure facilité.
Et c'est d'ailleurs ce qu'il va mettre en avant, le fait que parce qu'il a toujours eu et fait ce qu'il voulait, sa vie n'était pas franchement excitante.

J'ai trouvé le personnage assez ambivalent, énervant et touchant à la fois. Il a toujours eu ce qu'il souhaitait et en même temps, il a toujours ressenti le fait qu'il était comme insensible. Rien ne parvient à l'émouvoir, ne le passionne. Sa vie est comme qui dirait vide de tout grands sentiments.

La suite de la nouvelle va être l'occasion de monter le changement qui s'effectue en lui. Il découvre le monde qui l'entoure, pas celui de son milieu, plutôt celui des petites gens, celui des bas-fonds aussi. C'est l'occasion de dégrader son image de bourgeois, tout autant que de pimenter sa vie jusque-là si morne.
Ça y est, le baron se sent finalement vivre, son coeur bat comme il n'a jamais battu. Il apprend la générosité, terme qui lui était sans doute inconnu avant. C'est un autre homme que l'on découvre à la fin de la nouvelle. Oui le baron a fait du chemin, mais n'est-ce pas trop de facile de se déclarer changer après une unique nuit fantastique ?

Oh ! c’était bien vrai que j’avais vécu sans oser vivre et que je m’étais dissimulé et caché à moi-même ; mais, à présent, cette force refoulée s’était fait jour et la vie, cette vie riche et puissante avait pris possession de mon être. 








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