vendredi 27 septembre 2019

Le Coin des libraires - #137 D'innombrables soleils d'Emmanuelle Pirotte

J’ai lu peu de romans issus de la rentrée littéraire, ce phénomène me semble toujours un peu plus gênant au fil des années. On croise toujours les mêmes couvertures, les mêmes auteurs. Comme si la rentrée littéraire c’était juste une dizaine de livres, et pas des centaines. 
Bref pour pas déroger à cette règle, il va être question aujourd’hui D’innombrables soleils d’Emmanuelle Pirotte, publié chez le Cherche midi.


Je m’attendais à une lecture sensuelle, voluptueuse, historique aussi un peu. Sans doute est-ce ce qui m’a perdu, le manque d’historicité. Marlowe est un personnage réel et à ce titre, je pense qu’il mérite qu’on lui restitue sa grandeur. Ce qui n’a pas été vraiment le cas ici. 

Ce qui intéresse Emmanuelle Pirotte c’est le ménage à trois, le triangle amoureux, l’amour charnel entre un homme et une femme. Ceci est un des seuls aspects ayant retenu mon attention : le retournement d’attirance sexuelle. Homosexuel endurcie Marlowe succombe. Ce renversement est intéressant parce que l’auteure prend les choses à l’envers, elle explore un terrain encore peu représenté (ou pas du tout ?) qui est celui du passage de l’homosexualité à l’hétérosexualité. Pour cela rien à dire, j’ai trouvé l’idée suffisamment originale pour me plaire. 

Et j’aurais été conquise je pense, si l’histoire n’avait pas démarré de cette façon — c’est-à-dire de manière assez lente, avec le sentiment qu’on nous jette ici et là des fragments de savoirs sur qui était véritablement Christopher Marlowe et surtout avec cette répétition d’un bout à l’autre du roman. 




Au final D’innombrables soleils n’a pas grand chose d’original, que ce soit dans le fond comme dans la forme. Énième histoire sur un triangle amoureux il m’a ennuyé durant quasiment la première moitié. Les pages avaient du mal à se tourner, parce qu’on tourne en rond justement. Il y a trop de répétitions, des paragraphes entiers sont là pour décrire l’union des corps, l’amour charnel qui ne cesse de grandir, mais c’est en réalité un dédoublement. Une phrase ne vient pas compléter la précédente, elle la répète et c’est bien dommage. Car en ce qui concerne la plume d’Emmanuelle Pirotte, elle est des plus agréables. Elle se lit très bien si on met de côté l’aspect répétitif.

Le thème central a beau être la liaison entre Jane et Marlowe, il aurait pu être intéressant de mettre plus en avant l’aspect mystérieux de la mort de Marlowe. Tout comme il aurait pu être intéressant de donner plus de profondeur à Jane qui, à mes yeux, fait office de poupée de chiffon. Elle est bien là, mais sans contours, sans personnalité si ce n’est celle d’être une femme adorée, et malheureuse. Finalement j’ai été plus touchée par Walter que par Jane l’insaisissable. 


Sans rien attendre de ce roman, je souhaitais quand même être éblouie par Emmanuelle Pirotte qui fait pas mal de bruit depuis la sortie de Today We Live et plus récemment avec Loup et les hommes

Probablement ce roman est de ceux dont on a un avis tranché dessus. On adore, ou pas. Je ne le déteste pas, loin de là. Seulement le démarrage était bien trop long, au point que je l’ai laissé de côté pendant deux semaines, bloquée à la page 102, incapable de poursuivre à cause d’une histoire où il semble que chaque protagoniste se morde la queue. Un peu comme le lecteur, bloqué dans une impasse. 




"Mais elle se mettait son joli doigt dans l’oeil, si elle espérait se ménager un atterrissage sans douleur. Il faudrait bien qu’elle souffre, qu’elle en crève, comme lui-même en crevait, qu’elle touche le fond, s’écrase, mange la poussière, se déchire et tombe en lambeaux. Il faudrait bien que cet amour tienne ses promesses et l’anéantisse. Que croyait-elle ? Qu’on aimait impunément, seulement hanté de petites craintes de chrétien combinant ?"
Emmanuelle Pirotte, D'innombrables soleils.





samedi 7 septembre 2019

Le Coin des libraires - #136 Soeur d'Abel Quentin

Les éditions de l'Observatoire n'ont plus besoin de faire leur preuve avec moi. Avec plus de quatre coups de coeur (La Saison des fleurs de flamme, Nous qui sommes jeunes, Les Dévastes et Ces rêves qu'on piétine - dont je me rends compte que je n'ai pas encore publié mon avis !), la barre est placée très haut, et pourtant, voilà l'arrivée de Soeur d'Abel Quentin, nominé pour le prix Goncourt 2019 ! 




Il y a Chafia d’abord, qui se retrouve à passer un interrogatoire dans un commissariat, comme ça, d’un coup d’un seul. 

Puis le temps passe, un mois, précisément. 

On fait la rencontre de Jenny, adolescente perdue, seule et mal dans sa peau. Jenny est le stéréotype de la petite campagnarde qui rêve d’être branchée à l’école, d’être entourée de tout un tas d’amis, de décrocher le beau gosse que tout le monde vénère. Bref, Jenny Marchand c’est une nana comme les autres, fan de Harry Potter (surtout Daniel Radcliffe), de Rihanna et autres célébrités idolâtrées par les ados du XXe siècle. 

Tout bascule, parce qu’elle se sent enfermée, rejetée, incomprise de la part de ses pairs autant que de ses parents. Que faire quand on est la risée du lycée ? Comment continuer à garder la tête haute quand personne n’est là pour nous aider ?
Tout bascule parce qu’elle fait la rencontre de Dounia, sa mentor. 

Dounia sera le pont entre la vie rangée et morne de Jenny, et sa conversion à l’islam, à des idéaux extrémistes, terroristes. Elle permettra sa réincarnation. 

Au-delà de cette amitié entre les deux filles, il y a les parents de Jenny, dépassés. Impuissants spectateurs, victimes des mensonges de leur fille. Lucide quant à son comportement (pour Marion du moins). La représentation des parents est à mon sens aussi importante que celle de Jenny car ils sont des victimes, au même titre que les autres. Dommages collatérales de l’embrigadement, ils assistent à cette déchéance, la perte de leur fille. 




Roman de l’endoctrinement, Abel Quentin montre comment il peut être facile de faire commettre l’irréparable à quelqu’un qui se sent vide. Comment il est possible de profiter de la faiblesse des uns pour permettre la force des autres.
Premier ouvrage que je lis sur le djihad et l’embrigadement, il m’est arrivé d’avoir une pensée pour The Girls d’Emma Cline, car dans les deux cas la protagoniste se retrouve influencée par une fille plus âgée qu’elle, une fille qu’elle vénère et qui l’a sortie de sa claustration. 


Un roman passionnant, nécessaire pour tenter de comprendre la radicalisation qui est un sujet omniprésent à l’heure d’aujourd’hui. Après honnêtement même si j’ai saisi les mécanismes à l’oeuvre, cela reste est un phénomène qui m’échappe complètement. 


"Sa décision est tellement énorme, aberrante, monstrueuse, que Chafia s’est en quelque sorte détachée d’elle-même. Son corps obéit gentiment. Au fond, c’est presque confortable de ne plus sentir la tension permanente du libre-arbitre qui transforme chaque action en un accouchement dans la douleur."
Abel Quentin, Soeur.










Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...