mercredi 27 février 2019

Le Coin des libraires - #127 Les Dévastés de JJ Amaworo Wilson

Coup de coeur pour cet ouvrage paru aux éditions de l'Observatoire lors de la rentrée d'hiver 2019. Je tiens à remercier la maison d'édition ainsi que Babelio pour l'envoi. Après l'excellente découverte de La Saison des fleurs de flamme d'Abubakar Adam Ibrahim, voilà que les éditeurs frappent encore très fort avec ce roman aux multiples facettes.


Ils sont six cents, sans abri, sans pays et sans destin. Parias magnifiques, ils sont « les dévastés ».
Leur espoir est porté par un homme, Nacho Morales. Polyglotte estropié, prophète athée, ce joueur d’échecs cultivé, qui conte des histoires pour faire comprendre le monde à son peuple, veut les mener jusqu’à la terre promise. Envers et contre tout, il a décidé de les établir dans la célèbre Tour des Torres, un gratte-ciel abandonné de soixante étages dans la mégalopole de Favelada.

Ainsi commence l’aventure épique et spectaculaire des dévastés, qui leur demandera de faire face à un déluge biblique, des policiers corrompus, une armée de libellules ou des gangsters illuminés, dans une lutte toujours héroïque et souvent comique pour la survie et la dignité.



Lors de ma lecture, je ne cessais de m'interroger : à quel genre appartient ce roman ? Anticipation, dystopie, enquête post-apo ? Le moins qu'on puisse dire est que ce roman est pour moi synonyme d'universalité. On suit le personnage de Nacho Morales, c'est vrai, mais comme nous n'avons aucune indication précise de lieu (les lieux fictifs dans le roman tels que la mégalopole de Favelada font penser à divers lieux - ici aux favelas brésiliennes) ni même de langues puisque la Tour Torres où vont se réfugier les dévastés est peuplée d'êtres ne parlant pas la même langue. Cette tour, sans nul doute assimilable à celle de Babel n'est qu'un premier élément de l'inspiration biblique dans laquelle l'auteur a puisé. 


Tout ce que l'on sait sur l'époque, c'est qu'elle est bien craignos, les catastrophes naturelles se sont enchaînées (on a d'ailleurs droit à un déluge dans le roman...) et les conspirations politiques ont mené le pays (ou le monde ?) et ses habitants à la ruine. Du coup, voilà qu'il faut parvenir à caser 600 dévastés quelque part, et quoi de mieux qu'un monolithe pour cela ? 
Le problème du logement est donc vite trouvé, néanmoins le problème n'est pas de l'avoir trouvé,  mais bel et bien de le conserver. Nacho Morales va devoir parvenir à garder la Tour Torres pour les dévastés, tout en repoussant l'ennemi mortel, j'ai nommé la famille Torres. 
Bien évidemment, celle-ci est détestable - sinon, sans méchant à haïr, le lecteur n'aurait que les conditions climatiques à déplorer, ça fait peu quand même. 
Pourtant, l'auteur réussit à doser leurs apparitions, si bien que cette guerre n'est vraiment pas le plus intéressant dans l'ouvrage. 



Pour moi, le plus intéressant c'est véritablement ce que je nomme peut-être à tort l'universalité, la mixité des cultures et donc des langues. Je précise ici que l'auteur a parfois ajouté certaines phrases en Allemand par exemple. Pour moi, ça ajoute une certaine vraisemblance au récit (on croit un peu plus au fait que les personnages en question sont Allemands) et puis faut le dire, c'est quelque chose que je trouve extrêmement enrichissant, d'avoir ici et là des phrases dans une langue étrangère. 

Pour ce qui est de l'histoire en tant que tel, je ne vais rien raconter de plus que ce que j'ai dit là, je préfère vous laisser le maximum de surprise. Sachez simplement que cette histoire pose énormément de questions fondamentales sur la difficulté de vivre en communauté, sur la pauvreté et la place des gens pauvres dans la société, sur la question de l'handicap (Nacho est estropié, c'est d'ailleurs à cause de sa malformation physique s'il a été abandonné...) ou même de la liberté. C'est un roman foisonnant, passionnant sur l'humanité, sur notre histoire passée, et aussi peut-être sur celle à venir. 

Quoi qu'il en soit j'ai adoré le personnage de Nacho (ainsi que celui de son frère, je trouve qu'ils forment un très bon duo tous les deux, même un très bon trio, si on compte Maria avec). Nacho est un personnage complet et c'est quelque chose qui devient bien trop rare maintenant j'ai l'impression. 

Les Dévastés c'est pour moi un roman de l'acceptation, de l'autre autant que de soi. C'est une histoire qui fait réfléchir sur notre époque et sur notre façon de vivre. 
Je recommande à 1000% ce livre parce qu'il est quasiment parfait, parce qu'il nous donne à voir des personnages tout autant attachants que répugnants. J'ai adoré les flashbacks, mais peut-être qu'il aurait été parfois plus clair de signifier qu'il s'agissait d'un flashback ou que l'on va se concentrer sur un personnage secondaire. C'était par moment difficile à saisir.
Non, le seul mini bémol d'après moi, c'est la résolution de certains problèmes. À croire que les dévastés qui logent dans la Tour Torres sont auréolés de chance, puisque dès qu'un ennemi apparaît, bim, il semble que le monde lui-même vient les défendre.


Après quelques recherches, j'ai trouvé un article du Monde expliquant que l'inspiration de JJ Amaworo Wilson viendrait en fait d'un bidonville au Vénézuela, plus exactement, "la légende d'un bidonville aérien" au Vénézuela. Si vous voulez en apprendre plus, voici le lien de l'article.


Sinon, Les Dévastés c'est tout simplement une lecture passionnante et addictive, une lecture atypique aussi, qui donne envie de réunir toutes les nationalités entre elles dans un monolithe où chacun est libre de ses choix. Les Dévastés, c'est une lecture marquante, et sans doute sera-t-elle l'une de mes meilleures de cette année 2019.






dimanche 17 février 2019

Le Coin des libraires - #126 Le Saboteur de Paul Kix

Comme toujours j'aimerais remercier le Cherche midi pour l'envoi de Le Saboteur de Paul Kix ! Je l'ai reçu en épreuve non-corrigée il y a quelques semaines maintenant - en tout cas avant sa sortie officielle en librairie qui a eue lieu le 3 janvier dernier

J'ai décidé de refuser la plupart des services presses qui me sont proposés pour l'année à venir, mais je n'ai pas pu résister à celui-ci, en grande partie parce qu'il se déroule durant la Seconde Guerre mondiale - époque qui correspond au domaine de recherche pour mon mémoire ! 


Juin 1940. Robert de La Rochefoucauld a 16 ans lorsque l’Allemagne nazie envahit la France. Farouchement décidé à défendre son pays, il gagne Londres, y rencontre le général de Gaulle avant d’être recruté par la branche action des services secrets anglais. Après un entraînement commando, il est parachuté en France. Multipliant les fausses identités, il y accomplit de nombreuses missions, il est capturé à plusieurs reprises par les Allemands, s’évade à chaque fois, dans des conditions souvent rocambolesques. À partir de centaines d’heures d’entretiens, de recherches inédites dans les dossiers officiels, Paul Kix a reconstitué la vie romanesque et palpitante de ce héros peu ordinaire. Avec un sens de l’intrigue et de la construction digne des plus grands romanciers, il nous offre ici un document exceptionnel qui se lit comme un véritable thriller.  


Forcément j'ai été intriguée par la mention "L'histoire d'un héros français : quand la réalité dépasse la fiction" puisque je souhaite travailler sur la tension entre fiction et réalité concernant les écrits de la Seconde Guerre. 

On suit donc Robert de La Rochefoucauld. Ce nom vous dit quelque chose ? C'est bien normal puisque notre protagoniste n'est autre qu'un descendant du célèbre poète François de La Rochefoucauld qui a vécu au XVIIe et à qui l'on doit l'écriture des Maximes. On ne tombe pas n'importe où donc, et peut-être est-ce aussi une des raisons qui ont mené le jeune Robert à s'engager auprès de De Gaulle pour libérer son pays des Allemands. 

L'auteur américain, Paul Kix explique dans son avant-propos le souci d'exactitude qui ne l'a jamais quitté durant les quatre années où il a travaillé sur ce sujet. Selon ses propres mots, Le Saboteur n'est pas une fiction, c'est bel et bien la réalité. 
Là aussi se pose la question de la véracité des informations, de la difficulté de trouver des éléments probants concernant un homme qui a possédé diverses identités pour éviter de se faire attraper. D'un homme qui a été capturé, incarcéré, torturé. J'ai toujours cette méfiance à l'égard des auteurs qui mettent en avant leurs recherches, le fait qu'ils n'inventent rien et ne font que conter des événements réels. 




Ici, pas de méfiance. Je crois que l'auteur est parvenu à me convaincre dès son avant-propos et ce sentiment de vérité m'est ensuite apparu durant toute la lecture du livre. 
Le Saboteur n'est peut-être pas un document d'histoire (pour cela, il manque sans doute les références bibliographiques et autres notes glanés par l'auteur durant ses recherches), mais ça reste un livre qui parvient à raconter une histoire (trop) méconnue. Ce qui fait la force de l'ouvrage, c'est évidemment l'histoire de ce résistant qui n'a jamais faibli. On est subjugué par cet homme qui a tout essayé, qui n'a jamais accepté la défaite et l'Occupation.

Le personnage de Robert est le livre à lui seul. Il est le héros, il est l'histoire, il est la justification d'une telle entreprise. J'ai aimé le suivre, pas spécialement en tant qu'homme, mais en tant que résistant. J'ai admiré son courage, il n'y a pas d'autres mots. 

Ce livre est très intéressant, il permet de découvrir l'identité d'un homme à qui l'on doit peut-être un peu notre vie actuelle (dans le sens où sans ces hommes, peut-être serions-nous toujours sous le joug de l'Allemagne nazie, qui sait). C'est pour moi l'essentiel. 
Concernant la plume de l'auteur, je trouve qu'elle fait très "historien" dans le sens où il s'en tient aux faits, aux éléments qu'il a trouvé et qu'il relate simplement. Paul Kix se place selon moi entre l'historien et l'écrivain, il raconte quelque chose qui s'est véritablement produit à l'aide de faits, et il remet en ordre les événements afin d'en sortir une histoire intelligible et à peu près complète.
Ce que j'essaie de dire c'est que la plume n'est pas franchement poétique - et je pense d'ailleurs que le but n'était pas d'en faire quelque chose de poétique, mais bel et bien de narrer une histoire réelle méconnue et ce, de la manière la plus concise et juste qui soit. 


Le Saboteur a été une bonne découverte. Je n'ai pas particulièrement accroché au personnage de Robert, mais j'admire son héroïsme et je lui dis merci pour tout... Je suis heureuse d'avoir pu faire sa connaissance, car il mérite amplement d'être plus reconnu pour ses actions durant la Seconde Guerre mondiale. 
Si vous êtes passionné par l'époque, si vous avez envie de découvrir une histoire ignorée ou simplement si vous aimez les histoires d'espionnage, ce livre est fait pour vous ! 


« L’expérience de la torture n’est pas seulement, peut-être même pas principalement, celle de la souffrance, de la solitude abominable de la souffrance, écrirait Semprun. C’est aussi, surtout sans doute, celle de la fraternité. Le silence auquel on s’accroche, contre lequel on s’arc-boute en serrant les dents, en essayant de s’évader par l’imagination ou la mémoire de son propre corps, son misérable corps, ce silence est riche de toutes les voix, toutes les vies qu’il protège, auxquelles il permet de continuer à exister. […] »
Paul Kix, Le Saboteur







samedi 9 février 2019

Le Coin des libraires - #125 La marche de Radetzky & La crypte des capucins de Joseph Roth

Je ne me serais probablement jamais arrêtée sur cet ouvrage si je n'avais pas dû le lire. Trop peu connu, trop peu lu : trop démodé ? Il y a beaucoup d'interrogations quant au fait que Joseph Roth ne soit pas forcément reconnu aujourd'hui. Certains le voit comme un auteur incontournable de la littérature allemande du XXe, d'autres, comme un simple écrivain grignoté par l'alcool et mort dans la misère. 


  • La marche de Radetzky (1932)


Joseph Roth est les deux, auteur sans réelle reconnaissance, il est surtout connu pour ses articles journalistiques. Homme relativement instable aux tendances mythomanes, l'auteur a tenté d'écrire sa grande oeuvre, celle qui ferait de lui un homme reconnu même après sa mort. Peut-être était-il trop imbibé, trop déçu de la vie pour s'en rendre compte, mais Joseph Roth l'a bien écrit son chef-d'oeuvre. Je parle bien évidemment de La marche de Radetzky, roman aux tendances historiques (dans les descriptions "militaires" par exemple), mais surtout, roman hommage à cet âge d'or perdu qu'était l'empire austro-hongrois. 
Hommage donc, mais également critique. Si c'est un monde révolu que nous décrit l'auteur, il le fait avec détachement parfois, avec un regard conscient des erreurs, des impasses et d'une sorte de fatalité. 

Joseph Roth se faisait lui-même un roman familial, c'est du moins ce terme que Freud a utilisé pour parler des enfants qui invente des histoires sur leur filiation. Jeune homme déçu de sa généalogie, il a régulièrement inventé une paternité qui n'était pas la sienne, afin, peut-être, de combler un amour absent (celui du père). 
La paternité est donc importante, on le remarque d'ailleurs tout de suite avec ce roman puisqu'on retrace la vie de trois générations d'hommes Trotta, du grand-père, le héros de Solférino au petit-fils, petit homme sans réelle conviction. 

C'est autant une fresque familiale qu'historique que l'auteur nous livre avec ce roman ayant pour titre la grande marche viennoise, composée en l'honneur de Joseph Radetzky en 1848. Cette marche est symbolique dans la mesure où elle est composée à la suite de la dernière victoire de l'empire, avant que celui-ci ne commence à enchaîner les défaites jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale qui sonnera sa fin.


"Le monde où il valait encore la peine de vivre était condamné à sombrer. Le monde qui lui succéderait ne méritait plus d’être habité par des gens comme il faut."
Joseph RothLa Marche de Radetzky.


Durant tout le roman, l'auteur va s'évertuer à mettre en avant la puissance de l'empire, enfin plutôt, la puissance de l'empereur qui est l'empire, à l'image des Trotta qui le sont tout autant. 
Cette façon de lier l'Histoire à une famille est passionnante. L'auteur parvient à nous faire saisir tout un tas de détails qui sonneront la fin de ce monde. 
Néanmoins, que l'on ne s'y trompe pas, si l'auteur est nostalgique de ce monde révolu, il sait pertinemment que celui-ci n'était pas parfait, il s'évertue d'ailleurs à le prouver. C'est par le biais de l'ironie que l'on comprend les travers de l'empire, que l'on comprend que l'empereur et tous ses sujets se voilent la face. 

Dès le début le contraste est frappant, le roman débute lors de la bataille de Solférino (1859), la première d'une longue série de défaite. Néanmoins, tout au long du roman (quasiment) il n'est fait mention que de cet héros, celui qui a sauvé l'empereur, j'ai nommé Joseph Trotta. 

Ce sauvetage est en réalité le début de la fin. L'anoblissement va conduire les Trotta à la ruine autant que l'Empire lui-même. Car c'est aussi de cela dont il est question, du déclin d'une famille dès lors qu'elle a grimpé les échelons. De simples fils de paysans, Joseph Trotta von Sipolje devient quelqu'un, une personne de renom, respectée et admirée. 
Oui, mais rapidement celui-ci se rend compte des machinations de l'Empire, de ses défauts et de là, la déception pointe le bout de son nez. 

Puis c'est au tour du fils de Joseph, François de devenir quelqu'un. Dans l'impossibilité de devenir soldat (son père le refuse) il deviendra en quelque sorte un double de l'Empereur, incapable de lui survivre en tout cas. 
Finalement, le personnage que l'on suit véritablement, c'est bel et bien Charles-Joseph, petit-fils du héros de Solférino, soldat moyen qui représente assez bien la dégradation de l'Empire. 

Finalement, l'Histoire se joue beaucoup entre eux, le père et le fils. C'est à travers eux que l'on va suivre les événements jusqu'au déclin. L'Histoire en elle-même est présente en filigrane, il y est parfois fait mention explicitement d'autres fois, de manière assez discrète. On observe des dialogues sur la chute, le déclin à venir - surtout par le biais du personnage de Chojnicki, sorte de prophète fou - mais au-delà de ça, c'est dans l'intimité des personnages que tout se joue.


Comme vous pouvez vous en douter, j'ai adoré ce livre. Je l'ai trouvé extrêmement enrichissant. Il m'a permis d'en apprendre plus sur l'histoire par le biais de personnages tout ce qu'il y a de plus fictifs. J'ai aimé la plume de l'auteur que j'ai trouvé suffisamment descriptive sans être trop lourde. 
À titre comparatif, je dirais que L'éducation sentimentale (1869) de Flaubert possède certains traits de La marche. Le plus gros point commun est l'histoire du particulier, c'est-à-dire de parler d'une époque, sans mettre en avant son Histoire, mais laisser l'histoire se dérouler en toile de fond autour de personnages plus ou moins concernés par celle-ci. Néanmoins j'ai mille fois préféré le roman de Roth. 

Du coup après ma lecture, j'ai eu envie de me plonger dans La crypte des capucins, sans être à proprement parler une suite, il s'agit d'un autre Trotta, un parent éloigné (cousin) de celui rencontré dans La marche de Radetzky, mais toujours un descendant slovène, du village de Sipolje. 


"Les grandes douleurs étaient déjà chez elles dans son âme et les nouvelles douleurs ne faisaient que venir retrouver les anciennes, comme des soeurs depuis longtemps attendues."
Joseph RothLa Marche de Radetzky.




  • La crypte des capucins (1938)


Tout comme pour La marche, le titre de cet ouvrage est symbolique puisqu'il s'agit d'un caveau à Vienne où sont inhumés les Habsbourg. 
C'est toujours le récit de la fin, de la chute d'un monde qui avait bien des défauts, mais qui était malgré tout chéri. 
Si La marche est teinté d'une certaine ironie, La crypte des capucins est davantage vu comme un texte sombre et sans espoir. En effet, Roth, qui s'est exilé à Paris lors de la montée du nazisme en 1933 (et jusqu'à sa mort en -39) a passé un dernier séjour dans sa Vienne adorée, en 1938, soit la même année que la publication de ce livre, la même année que l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne à laquelle l'auteur a assisté avant de revenir en France. 

Si c'est un roman plus sombre, c'est bel et bien parce qu'il a été écrit à une période plus sombre. L'auteur parlait d'un monde révolu, celui de l'Empire Austro-Hongrois, désormais, le monde est mort, sans possibilité de régénération.

Notre héros est bien loin des Trotta, il se prénomme François-Ferdinand Trotta est vit la grande vie à Vienne. Il ne sait pas grand chose, ne fait pas grand chose non plus, si ce n'est vivre de manière légère comme seul un bourgeois sans souci peut le faire. 
Et puis fatalement, c'est la chute. Après s'être engagé dans la Première Guerre mondiale, il reviendra sans honneur, sans rien en fait. Le monde a changé, il lui va falloir changer également. 

François-Ferdinand est incapable, il est paralysé par une vie trop douce, si bien que quand la dure réalité le rattrape, il ne peut rien faire, il est impuissant et on comprend à quel point cet homme est la représentation de l'Empire perdu. Antihéros sans ambition, il est à l'image de ce monde dans lequel il a toujours évolué, mais dont il n'a pas compris la chute. Les illusions se bousculent et explosent. 

Pourtant, il y a la base d'un beau message de tolérance dans ce roman, celle d'une amitié entre trois hommes que tout opposent, ils sont de religions et classes sociales différentes, la seule chose qu'ils ont en commun : l'Empire.
Le message de l'auteur, c'est aussi que l'Empire, ce n'était pas seulement Vienne et Budapest (capitale de l'empire d'Autriche, du royaume d'Hongrie), l'Empire, c'était aussi tous ces lieux reculés, c'était la Galicie par exemple (lieu de naissance de l'auteur) tout autant que la Moravie ou la Bohême. 
Ici, Roth nous montre une image idéale, celle du pouvoir des peuples entre eux, celle de l'union de l'Europe pour vaincre l'ennemi nazi. 



C'est un roman funèbre, à l'image de ses dernières pages où Trotta, complètement désemparé veut entrer dans la crypte des capucins pour voir François-Joseph. Il est finalement rendu au silence par un moine lorsqu'il prononce les premières paroles de l'hymne impérial Autrichien. C'est fini, ceci est du passé, il ne faut plus en parler. 


"La mort, il est vrai, croisait déjà ses mains décharnées au-dessus des verres que nous vidions, mais nous ne voyions pas la mort, nous ne voyions pas ses mains."
Joseph Roth, La crypte des capucins





dimanche 3 février 2019

Le Coin des libraires - #124 Le faubourg (#2 trilogie des Ferrailleurs) d'Edward Carey

Nouveau lieu, même ambiance, un délice !
Le château s'est conclu sur un événement pour le moins étonnant et forcément, comme je le disais, ça donnait trop envie de lire la suite. Dès que j'ai eu un peu de temps, je me suis plongée dans le deuxième volet, Le faubourg, qui démarre sur les chapeaux de roue ! 

Si Le château était un véritable labyrinthe, Le faubourg l'est tout autant, et on sort d'un huis-clos pour un autre, un peu plus grand, mais tout aussi sale et poussiéreux. 


Rien ne va plus depuis que le château de l'extravagante famille Ferrayor a croulé sous l'assaut des objets rendus à la vie. Clod erre dans une ville ravagée. Lucy Pennant, sa complice, perdue dans les profondeurs d’une décharge, fait la rencontre d’une créature aussi monstrueuse qu’attachante. Pourchassés, nos deux héros vont devoir s’unir pour déjouer les plans du tyran qui asservit le peuple du Faubourg.

Ce deuxième volume de la «  Trilogie des Ferrailleurs  » confirme le génie visionnaire d’un écrivain et dessinateur unique en son genre, «  héritier des rêves illuminés de Borges, Calvino et Perec  » (The New York Times Review of Books), démiurge d'un monde dont l'inquiétante étrangeté n'est pas sans rappeler notre propre réalité.



On retrouve Clod et Lucy dans des situations pour le moins critique au début. La fin du tome précédent laissait présager la suite, si bien qu'on savait déjà à quoi s'en tenir, mais il n'empêche que cette situation temporaire (mais qui peut devenir permanente) est assez angoissante ! 
Heureusement, rapidement les protagonistes reprennent les choses en main et on retrouve Clod ainsi que Lucy en un seul morceau. 

En plus de ces deux personnages, on va faire la connaissance d'un nouveau, Benordur, qui est très important pour la suite des événements. 
Après avoir découvert le château des Ferrayor dans ses moindres recoins, Edward Carey nous propulse dans le faubourg, autre lieu dans lequel l'auteur va donner vie et nous permettre de voir son univers s'agrandir. Et quel univers ! On sort tout à fait du faste du premier volet pour entrer dans la grande pauvreté, pis, la misère, tant humaine qu'économique. 

Séparés à la fin du tome 1, Lucy et Clod vont devoir se battre pour s'en sortir dans Fetidborough et aussi pour se retrouver. Les retrouvailles sont d'ailleurs assez rapides, chose que j'ai franchement aimé. On n'a pas trop d'épanchement ou quoi, ils se retrouvent et la quête continue. 
C'est un truc que j'adore avec l'auteur, il a inventé des personnages profonds, intéressants, mais aussi qui mettent la priorité à la mission. Se retrouver c'est bien, s'en sortir c'est mieux. 




Gros plus pour la plume (ou la traduction) de l'auteur, il y a de la magie derrière ça. Il suffit de lire la première page pour être entrainé jusqu'à la dernière. C'est dingue comment il parvient à nous happer d'une façon telle qu'il est presque impossible de reposer le livre avant de l'avoir fini.  

Je pense que c'est un tout, c'est les personnages, l'univers, l'intrigue. J'adhère complètement à l'ambiance créée par Carey. Chaque chapitre est dans la continuité du précédent et en même temps très différent. On ne sait jamais à quoi s'attendre dans ce monde poussiéreux, rempli de détritus, de méchanceté et de folie. Néanmoins, nous avons Clod et Lucy pour nuancer tout cela et pour nous montrer que le monde ne se résume pas à la décharge. 

La fin du volet est prometteuse, tout comme l'était celle du premier. On a envie de lire la suite pour savoir ce que ça va donner, pour savoir si notre duo va parvenir à ses fins, pour savoir si Clod et Lucy vont redevenir respectivement un demi-souverain et un bouton ou s'ils parviendront à repousser cette malédiction des humains qui deviennent des objets. 


"J’aurai tout le temps de verser des larmes, Clod, quand tu seras loin de mes yeux."
Edward Carey, Les ferrailleurs II - Le faubourg








Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...