samedi 28 décembre 2019

Le Coin des libraires - #153 L'Absente de Noël de Karine Silla

Première publication des éditions de L’Observatoire, L’Absente de Noël de Karine Silla me faisait de l’oeil. Ayant rapidement entendu parler d’un voyage en Afrique, de dépaysement et d’histoires de famille, j’étais plutôt intriguée. 

Une fois la période de Noël arrivée, je me suis plongée dedans, croyant découvrir un autre monde comme ça a été le cas avec La Saison des fleurs de flamme ou plus récemment avec Nous qui sommes jeunes




Noël approche. Sophie, 20 ans, est partie faire de l’humanitaire à Dakar, mais la famille ne se doute de rien et commence à sérieusement s’inquiéter dès lors qu’elle n’arrive pas pour le repas. Tout est prêt, il ne manque qu’elle, mais rien ne peut aller si elle n’est pas là. 

L’absence de Sophie va être l’occasion de nous présenter sa petite famille : son père, séparé de sa mère, a reconstruit sa vie avec une autre. Et faut dire qu’il n’est pas franchement un exemple de figure parentale lorsqu’on voit que la jeune Sophie n’est pas à proprement parler la bienvenue dans sa petite famille parfaite.

Que faire des sentiments qui naissent malgré nous ? Le mensonge blesse. La vérité dévaste. Il aurait fallu, pour que tout s’arrête, s’interdire de vivre. Se rendre prisonnier du concept moral ou accepter que l’appel du bonheur soit parfois immoral. Que la liberté, qui finit quand celle de l’autre commence, est une contradiction en soi.

Mais contre toute attente, Antoine (le père) décide de partir avec toute la petite famille au Sénégal, afin de retrouver sa fille. Comble de l’ironie, il emmène avec lui sa nouvelle femme, Fanny (avec qui Virginie, la mère de Sophie ne s’entend pas — faut dire que quand tu as été victime d’adultère, ce n’est jamais très cool de se retrouver avec la personne concernée…) et le petit chien de Fanny, aussi adorable qu’insupportable.

Le voyage au Sénégal est le prétexte pour faire cohabiter ces êtres liés par la vie, mais qui n’ont plus grand chose en commun. C’est aussi l’occasion de dénoncer pleins de préjugés, de clichés sur l’Afrique, surtout quand on a l’habitude de se promener en costume et que la seule image positive qu’on a de l’Afrique, c’est Banania — oui je vise carrément le personnage d’Antoine. 

Si j’avais un bon pressentiment au début de la lecture, j’ai un peu déchantée au bout de deux-trois chapitres. Finalement l’histoire familiale ne me semblait pas très originale et quand j’ai vu la présence d’un énième triangle amoureux j’ai bien cru que le bouquin allait me glisser des mains ! 

Et puis c’est l’arrivée au Sénégal, et là j’étais dedans là je me suis souvenue pourquoi je voulais tant lire ce livre. 
La description des lieux, des coutumes, la rencontre avec la population, c’est ça pour moi l’élément fondamental de ce livre. Dépaysement il y a eu, mais pas grâce à Virginie, ni même Antoine. 

À la rigueur, si je devais parler des personnages, ceux qui m’ont le plus touché sont le grand-père, qui a un cran d’avance sur tous les autres et qui a pu réaliser un de ses rêves en allant en Afrique. Et l’autre c’est Fanny. Si de prime abord je la trouvais méprisable, au fil du récit se dévoile une femme fragile, découragée et anxieuse. 
J’ai aimé la formation des duos de personnages pour apprendre à mieux les connaître aussi. 

Mais je n’ai pas aimé Sophie. Cette éternelle absente ne m’a pas touché une seule fois. À aucun moment j’ai eu de l’empathie pour elle parce qu’au final elle m’apparaît comme une enfant capricieuse. Je comprends certaines de ses raisons, mais sa réaction est si excessive que je ne peux m’identifier ou compatir pour ce genre de personnage. 

Pourtant, on abandonne seul nos rêves d’absolu. Les autres n’y sont pour rien, parfois nos rêves ne sont que l’imagination mégalomane de croire en nos fantasmes forgée par nos manques et, très souvent, ce que l’on cherche n’existe pas. L’angoisse n’est que le résultat de cette quête improbable empirée par notre condition d’homme abandonné au milieu du paradis perdu.

Finalement je me souviens de ce roman pour la beauté de ses paysages. Karine Silla, originaire de Dakar a retranscrit avec son coeur, elle véhicule un regard honnête, elle n’essaie pas de cacher la réalité et ainsi de faire du Sénégal une utopie. Elle pose un regard bienveillant dessus et, à travers des aventures cocasses et amusantes, le lecteur se trouve déplacé dans un autre espace-temps. 


L’Absente de Noël n’est pas un coup de coeur. C’est une lecture au début assez lente et au fur et à mesure, comme un animal sauvage, l’ouvrage se laisse apprivoiser afin de donner à voir un monde ensoleillé et charmant, un monde où le paysage possède une place plus important que les personnages.







mercredi 25 décembre 2019

Le Coin des libraires - #152 Ritournelle de la faim de J.M.G. Le Clézio

Après Patrick Modiano, J.M.G. Le Clézio a choisi l’Occupation comme matière pour l’un de ses récits : Ritournelle de la faim, paru en 2008, année où il a reçu le prix Nobel. 
N’ayant jamais lu Modiano, je serais bien en peine de vous faire une petite comparaison des deux. Je vais donc en rester à ma seule lecture de Le Clézio à ce jour.

J’ai choisi Ritournelle de la faim pour découvrir cet auteur à cause de son sujet. À peu près tout le monde ici connaît ma fascination pour les récits sur la Seconde Guerre mondiale, et quand j’ai appris que ce récit se passait pendant l’Occupation, je n’ai pas réfléchi à deux fois. Aussi le roman est assez court (à peine plus de 200 pages) et quand on a peu de temps à consacrer à la lecture, c’est toujours un plus !




Nous sommes en 1931, la jeune Ethel, âgée d'une dizaine d’années accompagne son grand-oncle Monsieur Soliman à l’exposition coloniale où ce dernier achète le pavillon des Indes françaises. Son but : mettre ce pavillon dans le jardin de sa maison parisienne et en faire la maison mauve. 
L’enfance d’Ethel est douce, gaie, entourée de ses parents exilés de l’île Maurice. Ses parents, bourgeois, sont très entourés si bien qu’il y a très fréquemment des débats entre les invités, l’occasion pour Ethel de découvrir le bruit de la vie. Ça grouille, ça s’exalte, ça débat. 

Et puis il y a Xénia, l’intouchable, la dure, la parfaite. Fascinée par sa réputation d’exilée russe, Ethel devient amie avec cette petite sauvage jalouse. 

Cette faim est en moi. Je ne peux pas l’oublier. Elle met une lumière aiguë qui m’empêche d’oublier mon enfance. Sans elle, sans doute n’aurais-je pas gardé mémoire de ce temps, de ces années si longues, à manquer de tout. Être heureux, c’est n’avoir pas à se souvenir. Ai-je été malheureux ? Je ne sais pas. Simplement je me souviens un jour de m’être réveillé, de connaître enfin l’émerveillement des sensations rassasiées.

Tout semble aller pour le mieux. Jusqu’à ce que tout bascule. Les coups durs s’enchaînent, Ethel doit grandir, elle prend conscience de ce qui l’entoure de manière plus accrue encore. Elle se libère de l’enfance, tout simplement. 
Cette libération s’effectue dans la douleur, comme une plaie qui demeure béante et s’infecte. Les illusions disparaissent et il ne reste rien. 

Hormis la guerre. 
Et la faim. 

L’Occupation arrive. Les débats au salon se font de plus en plus virulents, certains voient l’Allemagne d’un bon oeil, d’autres, non. S’ils étaient auparavant enrichissants, ils deviennent insupportables. Puis s’arrêtent. 
L’heure n’est plus à la discussion. La débâcle est enclenchée et nôtre jeune Ethel, maîtresse de son destin décide de prendre les choses en main. 

Ethel riait. C’était la première fois depuis si longtemps que ça devait lui mettre des larmes dans les yeux, mais c’était bon. Ainsi leurs coeurs se réveillaient, sortaient de l’hivernage. Ils retrouvaient chaque seconde de mémoire, même si ce n’était pas l’innocence. Ils se souvenaient d’avoir été heureux.

Ritournelle de la faim s’attache à éclairer différents pans de l’Histoire, l’Occupation d’abord, mais aussi celle de la place des femmes dans la société (en tant que mariée par exemple), de l’exil volontaire. L’amour familial y a une grande place également, car s’il est presque toujours bénéfique, il peut être tout autant destructeur. 

Il était au départ difficile de s’intéresser à Ethel tellement tout prospère dans sa vie, et pourtant Le Clézio parvient à nous capter suffisamment pour que l’on se prenne au jeu. Et alors les drames se succèdent et progressivement, Ethel devient un personnage fort, attachant. 







samedi 21 décembre 2019

Le Coin des libraires - #151 Goldman sucks de Pascal Grégoire

La couverture. Les tons, le camping-car qui prend la route, l'idée d'évasion. Voilà ce qui m'a donné envie de lire Goldman sucks, le premier roman de Pascal Grégoire, publié au Cherche midi. 
S'y ajoute le résumé qui nous met dans le bain. Définitivement, ce roman avait l'air sympa, différent de ce que je lis d'habitude, plus léger, idéal pour les vacances. 


Du jour au lendemain, Corentin Pontchardin perd tout. Simultanément victime de la crise des subprimes et de sa propre crise de la quarantaine, celui qui conjuguait avec succès vie professionnelle – au ministère des Finances – et vie privée voit son monde s’écrouler.
Bien décidé à partir en guerre contre la banque qui a causé sa perte, la toute-puissante Goldman Sachs, Corentin embarque femme, enfant et beaux-parents aux États-Unis dans une aventure épique jalonnée de rencontres inattendues.
Véritable fable sociale, Goldman sucks raconte avec tendresse – et une bonne dose d’humour – le quotidien de cette équipée lancée à l’assaut de la finance mondiale.
Un roman vif et plein d’espoir, porté par une famille pas tout à fait ordinaire.



On va suivre principalement le personnage de Corentin, chef de famille et employé accompli, Corentin a suivi les traces de son père, bosseur inconditionnel, il n'a jamais vraiment remis quoi que ce soit en question, s'évertuant à travailler afin de parvenir à son poste au ministère des Finances. 

Mais voilà que Corentin prend de l'âge, il aime sa femme et sa fille, mais il prend une maîtresse, une jeunette, une petite journaliste qui l'a interviewé. À partir de ce moment déjà on se dit qu'il y a anguille sous roche. Et la suite va se révéler entraînante ! 

À côté de Corentin il y a sa femme, Camille qui le met à la porte, et les parents de celle-ci. Son père que l'on suit et sa grand-mère, nouvelle occupante d'une maison de retraite. 
À travers ces personnages, l'auteur va mettre en avant le règne de l'argent (et par extension, les banques), l'argent qui régit l'école, l'argent qui régit le pays, l'argent qui contrôle le monde. 

On mêle un ton léger à des événements graves - la petite Fleur qui finit au commissariat par exemple. On rencontre rapidement des personnages détestables - la propriétaire de la maison de retraite. Et à côté de cela, on va suivre Corentin et sa petite famille dans un voyage aux États-Unis pour dénoncer... Goldman Sachs, emblème du problème, symbole de la déchéance du monde, du règne des 1% sur le reste de la population. 




Je suis ressortie de ma lecture amusée autant que satisfaite. J'ai trouvé le combat de la famille Pontchardin passionnant et réel. C'est une réalité que décrit Pascal Grégoire, les événements en maison de retraite sont réels, la suprématie des banques, de l'argent sur le monde l'est tout autant. 
L'auteur parle de sujets graves en leur donnant une certaine légèreté, une pointe d'humour qui fait du bien. 

On termine le bouquin avec l'envie de voir Goldman Sachs s'effondrer, avec l'envie d'avoir un monde tel qu'il est décrit - comme le fait qu'il devient interdit pour les banques de spéculer avec l'argent de leur client. Alors bien sûr la conclusion reste la même "Les 99% étaient toujours 99% et les 1% toujours 1%", mais ça fait du bien d'avoir un livre qui traite d'un sujet aussi sérieux (et pour lequel je me sens concernée !) avec humour. 
Il suffit de voir le dernier paragraphe du livre : les changements sont minimes, mais les démarches de la familles Pontchardin aux États-Unis ont été tellement médiatisées que celles-ci deviendront matière à un film. 
Est-ce de l'ironie ? est-ce que l'auteur a simplement voulu reprendre un élément commun à la littérature ? à savoir que les romans qui fonctionnent font quasiment toujours l'objet d'une adaptation ou faut-il le voir comme un nouveau moyen de faire de l'argent sur une noble cause ? 

Le mystère demeure. 


Il faut quand même souligner l'importance du "être ensemble" c'est bien le groupe entier qui est un moteur, l'individu en tant que tel n'est pas capable de changer le monde comme la communauté. C'est un roman sociétal, un roman où notre monde est décrit et où on tente de le changer pour le rendre meilleur, du moins, moins injuste, plus égalitaire. 


J'ai pris énormément de plaisir avec Goldman sucks, comme je le pensais, j'ai ris et j'ai été choquée face à ce livre. J'ai aimé la plume de Pascal Grégoire pour son côté bref. Il va droit au but, il ne s'encombre pas de détails inutiles, ce qui donne un roman de 200 pages aussi agréable qu'intelligent. 





mercredi 18 décembre 2019

Le Coin des libraires - #150 Continuer de Laurent Mauvignier

Il y a en a eu des avis dithyrambique, des avis qui donnent envie de découvrir et après avoir découvert Seuls, Mauvignier est un auteur que je souhaite parcourir en profondeur. Mon troisième de lui, et malgré un démarrage était assez lent, il promettait une belle histoire. 




On ne fait pas de projet d’avenir - les projets, c’est pour ceux qui n’ont pas de présent. Quand le présent vous comble, pourquoi aller chercher demain ce qui s’accomplit pleinement chaque jour ?

Sybille a un fils, Samuel qui va à vau-l’eau, elle décide de prendre les choses en main afin qu’il ne finisse pas par être comme elle, plein de regrets. Elle décide de quitter la Bourgogne pour partir en trek au Kirghizistan. Dépaysement total. 

La mère comme le fils ont besoin des autres, du contact, du partage. 
Samuel, enfermé dans son mutisme, n’est pas franchement ravi, mais peu à peu, les barrières tombent. Les remarques désobligeantes se font plus rares, et bon gré mal gré, le jeune homme s’ouvre au monde. 

Car bien sûr, ça ne sert à rien de rêver, de ne pas savoir reconnaître qu’on n’est pas capable, simplement pas capable. Bien sûr, il a raison Benoît, c’est plus dur d’assumer d’être celle qu’on est, de n’être que cette personne qu’on est. On n’est pas un autre. On n’est que ce corps, on n’est que ce désir bordé de limites, cet espoir ceinturé. Alors il faut apprendre à s’en rendre compte et à vivre à la hauteur de sa médiocrité, apprendre à s’amputer de nos rêves de grandeur, vivre au calme, à l’abri de nos rêves. 

Je n’ai pas retrouvé la beauté de l’écriture comme dans Seuls (comme je ne l’ai pas retrouvé dans Des hommes), mais le style est incontestablement maîtrisé. Laurent Mauvignier dépeint une relation tumultueuse traversée par des situations touchantes. 
C’est vrai que ses personnages sont de prime abord stéréotypés, une famille déchirée, un père absent et con, une mère déçue par des rêves jamais réalisés, et un ado au bord de gouffre de la délinquance. Et pourtant ils deviennent des êtres à part entière, touffus et touchants. 


Un roman du dépaysement, de la rencontre des autres permettant la connaissance de soi, de la nécessité de profiter de l’instant, fugace et scintillant, pour parvenir à la suite du voyage. 

Si on a peur des autres, on est foutu. Aller vers les autres, si on ne le fait pas un peu, même un peu, de temps en temps, tu comprends, je crois qu’on peut en crever. Les gens, mais les pays aussi en crèvent, tu comprends, tous, si on croit qu’on n’a pas besoin des autres ou que les autres sont seulement des dangers, alors on est foutu.



mercredi 11 décembre 2019

Le Coin des libraires - #148 Quand le diable sortit de la salle de bain de Sophie Divry

Intriguée par Journal d’un recommencent, livre ovni autour de la religion chrétienne au XXIe siècle, j’ai découvert une Sophie Divry passionnante et innovante. Puis j’attendais beaucoup de La condition pavillonnaire, toujours publié dans la collection Notabilia de Noir sur Blanc et ça a été une bonne lecture, mais tellement moins bien que ce à quoi je m’attendais. 

Tant pis, je suis remontée en celle avec son essai Rouvrir le roman. Un autre ouvrage atypique qui vient nous interroger sur notre pratique de lecture et particulièrement sur celle du roman à notre époque. Idées fines, langage accessible, Rouvrir le roman m’a rappelé pourquoi Sophie Divry m’avait tant plu avec son Journal d’un recommencement

De cette auteure, il me reste deux ouvrages à découvrir : Quand le diable sortit de la salle de bains et son dernier, Trois fois la fin du monde



La rigidité de mon esprit me force à découvrir des oeuvres dans l’ordre de parution — il y a ces auteurs que j’admirent et dont j’aimerais lire l’intégrale de leur bibliographie, rassurez-moi, vous aussi ça vous arrive ? — la suite logique était donc Quand le diable sortit de la salle de bains, paru en 2015. 

Sophie (l’héroïne, pas l’auteure, quoique, dans un mouvement de réalisme, peut-être que son héroïne est inspirée de sa vie, qui sait ?) est sacrément dans la dèche. Elle n’a même plus le droit au chômage. Tout ce qui lui reste, ce sont les minimas sociaux, cette ASS qui ne veut pas tomber. 

Oui, j’étais courageuse. La dèche déclenche souvent de l’orgueil — et je pense que tous ceux qui ont connu ça me comprennent — puisqu’on est capable de ne rien manger ou presque, on se croit au-dessus des autres, comme si la misère développait chez ses victimes une fierté idiote, mais nécessaire pour se battre contre elle. 

C’est la faim, l’idée irrépressible de la faim. Alors Sophie mange ce qu’elle peut avec ce qu’elle a. Ce sera des nouilles, des nouilles, des biscuits secs, et encore des nouilles. 

Sophie se noie petit à petit dans la pauvreté, dans les maux de ventre, les étourdissements. Mais si Sophie vit une vie de misère, il n’est pas question que son récit renvoie cette image. 

Extrêmement drôle et fin (élément nécessaire pour aborder un sujet qui n’est pas franchement amusant), Quand le diable sortit de la salle de bain est un souffle d’air frais dans une société où les inégalités ne cessent de se creuser. Le ton est léger et c’est là la grande force de ce récit, mais qu’on ne s’y trompe pas, ça reste une histoire sérieuse. Une histoire où il est nécessaire de se reconvertir pour espérer décrocher un travail, une histoire où il faut abandonner ses rêves pour combler la faim qui tiraille le ventre. 

Sophie est une héroïne attachante et drôle, comme son ami Hector, tout autant dans la dèche, et qui donne à voir des scènes tordantes où la réflexivité du roman se trouve interrogée, où il est question du diable, du changement de typographie pour raconter une histoire. 

Sans doute le conditionnel a-t-il été inventé par une famille pauvre pour mieux supporter sa condition. Ce devait être il y a très très longtemps, quand n’existaient ni l’électricité ni la déprime du dimanche soir et que tout le monde croyait en un dieu super-méchant. Cela avait dû se passer dans la famille Ladèche.

Quand le diable sortir de la salle de bain est une lecture addictive, amusante et surtout drôle. Je lis peu de livres humoristiques, et qu’est-ce que j’ai ris devant celui-ci ! Un sujet sérieux mais qui n’est pas tourné en dérision dans un acte purement gratuit. Non, un sujet sérieux, abordé avec légèreté afin de relativiser et peut-être ainsi, de sortir de la dèche. 







vendredi 6 décembre 2019

Le Coin des libraires - #147 Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse

L’histoire démarre en 2007, avec John Maloof. En réalité, l’histoire démarre bien avant, même avant la naissance de Vivian en 1926. 
L’histoire c’est celle de la famille de Vivian Maier, l’histoire d’une tension entre les États-Unis, terre promise et la France, terre des racines. 

Je l’ai lu il y a un petit moment, mais comme souvent je suis en retard dans mes publications (vous aussi ça vous arrive ??) et du coup j’ai passé plusieurs semaines à réfléchir à mon avis sur cette lecture, à réfléchir à ce que je peux en dire, en ressortir, en ressentir. 






Lors de sa sortie l’éclectisme était de rigueur, chacun y allait de son propre avis, tantôt enthousiaste, tantôt détracteur.
J’en ai retenu qu’avec son livre, « on apprend rien de plus » que dans le documentaire réalisé par Arte. Mais n’ayant pas vu le documentaire, ne connaissant pas Vivian Maier, j’ai tourné les dernières pages en ayant un sentiment de mystère jamais révolu, en pensant que Gaëlle Josse a tout résumé. 

Peut-être que ça fait un peu « catalogue » dans le genre je vous balance tous les éléments biographiques glanés ici et là, mais pour moi ça fait aussi intimiste. Vivien Maier m’apparaît comme un être fantomatique, petit fantôme voguant sur la terre avec son appareil, prête à capturer les clichés de la vie. 

Vivien Maier est inscrite dans chaque page, et à la fois elle est évanescente, insaisissable. Elle reste cette artiste un peu trop mystérieuse. Cette artiste dont il est impossible de justifier le pourquoi du comment, pourquoi était-elle aimée en tant que nourrice dans certaines familles et détestée dans d’autres ? Mais question plus importante encore : pourquoi n’a-t-elle pas développé ses photos ? 
Manque de confiance en soi ? Idée de la gloire comme d’un élément impossible à atteindre ? 


Vivian invente sa vie, une vie vierge de toutes les scories familiales, de tous les conflits, les déchirements, de tous les manques. Une pellicule vierge où va s’imprimer ce qu’elle est, ce qu’elle voit, ce qu’elle saisit, ce qui l’émeut, la surprend, la bouleverse. 

C’est le portrait d’une femme forte et solitaire que nous dépeint Gaëlle Josse, l’image d’une femme inconnue mais géniale. On ne sait sur quel pied danser : femme odieuse ou adorable ? Laquelle était la bonne ? Est-il possible d’être tout à la fois ? L’attachement pour la personne n’était pas au rendez-vous, mais la fascination pour cette photographe mise au ban de la société était bien là. 
Munie comme toujours d’une écriture délicate, l’auteure tente de percer un mystère indéchiffrable. On entre à l’intérieur d’une vie secrète grâce à la minutie et la concision, deux éléments fondamentaux de l’écriture de Gaëlle Josse. 

Les visages. Je suis, comme Vivian Maier, fascinée, obsédée par les visages. Par ce qui s’y lit, ce qui s’y dérobe. Approcher un parcours de vie, un chemin, une histoire. Approcher le grain de peau, le battement du coeur, du sang, le souffle, la sincérité d’une expression, le surgissement d’une émotion, suivre le tracé d’une ride, d’un frémissement des lèvres, d’un battement de paupières. Saisir les conflits intérieurs qui s’y jouent, les passions qui y brûlent, les douleurs qui affleurent, entendre les mots qui ne seront pas dits. Accompagner quelques êtres qui courent vers leur destin et nous interrogent sur le nôtre.

Alors finalement peut-être ne suis-je pas assez objective quant aux écrits de Gaëlle Josse. Ils sont pour moi si précieux que j’ai souvent du mal à prendre du recul. Une femme en contre-jour n’est clairement pas parfait, il n’arrive pas à la cheville de L’ombre de nos nuits, Les heures silencieuses ou plus récemment Une longue impatience, mais il m’a touché, il m’a captivé et c’est bien ce qui compte le plus. 


« Vivian Maier. Une silhouette anonyme, une invisible dans la rumeur d’océan de la ville. Un visage parmi d’autres. Elle marche. S’arrête. Cadrage. Intuitif, parfait. Déclenchement. »






mercredi 4 décembre 2019

Le Coin des libraires - #146 L'Épouvanteur : tome XV La résurrection de l'Épouvanteur de Joseph Delaney

J'ai encore tellement de retard dans la rédaction de mes articles que je m'attelle seulement maintenant à vous délivrer mon avis sur le tome XV de l'Épouvanteur, sorti à la fin de l'année 2018. Le volet qui est censé être l'avant-dernier ne le sera sans doute pas. Joseph Delaney a confirmé qu'il était actuellement en train d'écrire la suite du troisième tome de Starblade Chronicles. Série que les éditions Bayard ont choisi de ne pas différencier de Wardstone Chroniques.




Pour celles et ceux qui lisent cette saga (tout le monde ici j'imagine, sinon vous ne serez pas en train de lire ces lignes...), il est impossible d'oublier la fin du tome XIV avec la mort de notre protagoniste. Le titre de ce tome ôte toute ambiguïté, puisqu'on sait déjà qu'aura lieu la résurrection. Comme c'est quelque chose d'attendu, cela a lieu dès le début comme ça on peut entrer dans le vif du sujet assez rapidement. Parce que oui, il n'y a plus de temps à perdre, bientôt, l'armée des Kobalos parviendra à invoquer leur dieu, Talkus, mais avant cela, Tom et ses petits camarades (Alice, Jenny, Meg, Grimalkin, Sliter) vont devoir affronter Golgoth, déjà apparu dans les premiers tomes de la saga (quelque chose comme le troisième tome, non ?) et le moins qu'on puisse dire, c'est que ce ne sera pas chose aisée !

Les événements se précipitent et finalement, l'affrontement a lieu après que les armées d'humains se soient faites décimer. Mais restons en là concernant le déroulé des événements général.
J'aimerais plutôt aborder les personnages, dont Alice déjà. Si vous avez lu mes avis précédents sur cette saga, vous savez sans nul doute qu'Alice est mon personnage favori, même si mon appréciation a baissé depuis quelques tomes, je souhaitais quand même qu'elle revienne auprès de Tom, après avoir fait n'imp avec Lukraste. Ce que j'attendais survient donc dans ce tome, mais ce retour, et bien je dois dire que je l'ai trouvé un peu facile. Elle revient, explique que ce n'est pas franchement sa faute mais qu'elle a fait ça dans l'intérêt de tous et hop, c'est pardonné on oubli. Mouais, personnellement je ne suis pas convaincue... Mais elle est de retour, et c'est le principal, surtout quand on voit ce qui se passe à la fin de ce tome.


Concernant Jenny, elle est un personnage qui se découvre au fur et à mesure du temps. Légèrement niaise et peureuse dans le tome précédent, j'ai trouvé que malgré la peur, elle s'affirmait de plus en plus ici. Elle fait figure de remplaçante, pour palier l'absence de John Grégory, Joseph Delaney a fait le choix d'exprimer des remarques qui auraient été celles de Grégory s'il n'était pas mort - je pense à son aversion pour les sorcières, et notamment sa jalousie envers Alice. Mais elle est un personnage qui devient de plus en plus intéressant de jour en jour, et j'aime suivre son évolution.

On est bien loin du Tom des premiers volets. Il assume pleinement son rôle d'Épouvanteur, il protège Jenny, même si on sent bien qu'elle est plus déterminée que lui, et peut-être moins trouillarde que lui au début de sa formation. C'est amusant de voir l'évolution du personnage, mais l'évolution entre le tome précédent et celui-ci est bâclée. Dans le tome XIV, on passe je ne sais combien de temps à nous parler d'Alice, de sa trahison, du mauvais goût dans le bouche de Tom qui lui faisait confiance malgré qu'elle appartienne à l'obscur. Et là, virage à 180°, Alice revient et on oublie tout. Faut-il préciser que les événements se passant à la fin du tome XIV sont déclenchées par Alice elle-même ?
Même si j'aime profondément ce couple, je ne peux m'empêcher de trouver cette réunion trop facile... 

Et puis forcément il y a les batailles, la plume percutante de Joseph Delaney qui décrit avec justesse les événements, sans épargner son lecteur qui, ne l'oublions pas, est un lecteur jeunesse. Il reste un tome pour conclure cet arc disons, l'auteur va-t-il épargner son lecteur ? combien de morts y aura-t-il à la fin, après tous ceux qu'il y a déjà ? Ah j'ai tellement hâte !! J'espère retrouver Sliter dans le prochain volet, il revient ici mais uniquement durant quelques pages.

Ce tome XV est hyper haletant du début à la fin. Quelques bémols viennent obscurcir une appréciation à la base très positive (le retour d'Alice après avoir effectué quand même pas mal de méfaits... ; la conclusion de la bataille contre Golgoth, avec la perte d'un personnage fondamental...). Bref j'attends la suite avec impatience, histoire de voir à quelle sauce nos héros vont être mangés.
Je souligne enfin un dernier bémol, le fait qu'il n'y ait plus d'illustrations en tête de chapitre. Je trouve ça vraiment dommage surtout que c'est la première fois en 15 tomes que ça arrive...











samedi 30 novembre 2019

Le Coin des libraires - #145 Valse mémoire de Violaine Ripoll

Valse mémoire raconte Émile, maître d’école, marié à Aurore depuis des décennies. Émile qui n’a plus jamais fermé l’oeil depuis son retour d’Algérie en 1962
Valse mémoire raconte Aurore, à qui on diagnostique Alzheimer. C’est le début de la maladie, le conseil d’un médecin qui est d’écrire avant d’oublier. Alors Aurore écrit, elle couche sur le papier, de façon hésitante, distante parfois. 




Entrecroisement de trois récits, celui d’Émile, d’Aurore et de Solange, la soeur d’Aurore, venue prêter main forte à un Émile impuissant. Aurore les a quitté, elle a passé ce stade où elle ne les reconnaît plus, où elle est devenue une autre. Émile est seul avec son passé, son amour pour Aurore. 
Et puis il y a l’Algérie, fantôme inoubliable. Et Solange aussi, avec qui la relation n’est pas si claire. 

À eux trois ils vont raconter des histoires, de l’Histoire inoubliable à l’histoire individuelle perdue dans les méandres de l’oubli, les personnages vont devoir se battre pour continuer à vivre malgré la douleur. Pour conserver ce qui fait leur identité, envers et contre tout. 

Découvrir que l’on est atteint d’Alzheimer, c’est apprendre le début de la déchéance, c’est perdre à petit feu sa vie tout en luttant pour en conserver des bribes, aussi infimes soient-elles. 


Il n’y a pas de passage pour rejoindre l’endroit invisible de ton absence. En creux, le manque de ton regard et de tes paroles. Tes cris parfois heurtent le silence qui s’est installé. Je me débats avec le chagrin.


Aurore est touchante dans sa confession. Désemparée elle suit les conseils de son médecin et raconte des souvenirs. 
Émile, pour qui on ne peut éprouver que de l’empathie face à une situation insoutenable. Privé de sa femme, il doit subir ses crises, celles où Aurore ne le reconnaît pas et prend peur. 

Émile doit accepter la réalité d’une vie qui ne lui a pas fait d’autre cadeau qu’Aurore et qui lui retire. 
Son récit, réaliste du point de vue des événements autant que de ses sentiments, est ce qui fait toute la force du livre parce qu’il complète magnifiquement bien le journal tenu par Aurore. 

L’élément décevant du roman c’est la présence de la guerre d’Algérie et le manque de soin qu’on lui apporte. Il n’y a que dans un chapitre vraiment qu’on l’aborde (sans doute le plus long), et je trouvais qu’au final, l’insérer dans l’histoire donnait un peu un prétexte pour mettre en confrontation la blessure d’un passé qu’on ne peut oublier et la maladie qui, quoi qu’il se passe, balaiera tous les souvenirs sur son passage. 


Il en va de même pour Solange, elle ajoute une note positive, elle permet d’éviter de tomber dans le mélo, mais en même temps elle n’ajoute rien à l’histoire en tant que tel je trouve, mais ce n’est comme toujours que mon avis. 


L’histoire des hommes n’est pas cousue du fil blanc des reliures des livres qui pèsent lourd dans les bibliothèques des bienpensants. L’innocence des uns ne vaut rien quand les crimes des autres ont été permis et encouragés, imposés à nous comme une victoire. Cette impunité court toujours, alors notre culpabilité de lâche perdure et nous gangrène. Le fil de barbelé de l’histoire est encore un bâillon sur nos bouches de taiseux horrifiés. Je me cache ici, derrière ces prés et ces vieux arbres, derrière des livres qui racontent un autre monde et pourtant toujours le même. Je me cache, car c’est dans l’obscurité de cette maison, dans son silence, dans ton souffle j’écoute la nuit, que mon coeur, que mon corps s’apaisent, expirent au fil des années le venin qu’ils ont fait couler dans mes veines. 





mercredi 27 novembre 2019

Le Coin des libraires - #144 L'Âge de la lumière de Whitney Scharer

Reçu un peu avant la rentrée littéraire, laissé de côté, entamé, puis de nouveau laissé de côté. C’était difficile de repousser cette histoire. 
D’ailleurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais souligner l’excellent travail de la traductrice, Sophie Bastide-Foltz, car si j’ai trouvé ce livre aussi bien écrit, aussi entraînant, c’est grâce à l’auteure bien sûr, mais c’est tout autant grâce au fabuleux travail de traduction — les traducteurs ne sont pas reconnus à leur juste valeur, et pourtant, ils contribuent grandement à la découverte des pépites en langues étrangères ! 




L’âge de la lumière est un récit enchâssé. Le premier chapitre nous propulse dans les années 1960 en Angleterre. Lee Miller vivant désormais à la campagne avec son mari Roland propose de rédiger un article un peu spécial : un portrait de Man Ray et surtout, de sa relation avec lui. Un moyen de donner sa version des faits concernant leur idylle destructrice survenue presque 40 ans plus tôt. 

Arrivée à Paris, 1929
Lee Miller, jeune mannequin américaine rêve du beau Paris, de s’y établir et de profiter de ce que la ville lumière a à offrir. 
Désoeuvrée, dégoûtée du mannequinat qu’elle considère presque avec dédain Lee choisit de se réinventer à l’aide de l’appareil photo qu’elle trimballe partout. Un cadeau de son père, lui-même photographe.

De fil en aiguille la rencontre avec Man Ray est inévitable. D’inconnue elle deviendra assistance, d’assistance à maîtresse, de maîtresse à égale. 

Mélange de découvertes photographiques (la solarisation) et de scènes amoureuses, L’Âge de la lumière fait le jour sur Lee Miller, femme aux multiples vies. 
On côtoie les surréalistes, les beaux noms des années 20 dont la fameuse Kiki de Montmartre. On découvre un monde élitiste où jamais Lee n’est considérée pour ce qu’elle est réellement : une photographe à part entière. 


Solarisation. C’est le nom qu’ils lui donnent. Ça dit bien ce qu’elle éprouve, une sensation d’éblouissement, comme si, ayant libéré son corps de ses entraves, tous deux l’avaient rapproché du soleil. 


D’amour blessé aux désillusions il n’y a qu’un pas, et le Man Ray jaloux et possessif s’avère être fragile autant qu’insupportable. 

Whitney Scharer, par le biais d’une plume minutieuse et délicate nous immerge dans le Paris des années folles au travers des visions de la ravissante Lee, encore trop souvent laissée dans l’ombre au profit du grand Man. 
Whitney Scharer brosse un portrait tout en ombres et lumières où la condition humaine revient au galop car malgré les amours, malgré les attaches, la vie composée de noir et de blanc, ne fait pas de cadeaux. 

Whitney Scharer a écrit un roman foisonnant, passionnant où se rencontrent la Lee des années folles à Paris, la Lee reconvertie en reporter de guerre, chargée de photographier les camps et la libération, la Lee vieillissante, meurtrie par la vie, qui préfère se cacher dans le Sussex aux côtés d’un homme dont on est même pas certain qu’elle l’aime. 

Le seul petit élément qui m’a un peu déçu, c’est le fait qu’on ne parle pas de sa transformation : à quelle moment Lee est passée de photographes du temps présent, du bon endroit au bon moment à photographe de guerre ? 
Qu’a-t-elle fait durant les années qui ont suivi sa séparation avec Man Ray ? 
Mais cette dose de mystère contribue aussi à la beauté de l’ouvrage. 


Ce qu’elle cherche avant tout, c’est cet instant où l’évidence s’impose, où la décision doit être prise. Elle veut créer des moments et les saisir sur la pellicule. Saisir l’expérience en train de se vivre, la sensation d’être vivant. 


Rien que d’y penser, je me sens toute chose. Je repense au voyage de Lee et Man, à leurs corps amoureux couchés sur le sable. Je repense à la soirée des objets avec les surréalistes. Je repense à la trahison de Lee, puis à celle, plus grande encore de Man. 
Lee. Man. Ou la représentation des passions humaines. Ou la difficulté d’aimer à la suite d’un passé trop lourd. La promesse d’une éternité face à l’impossibilité du futur. 

L’Âge de la lumière c’est tout ça à la fois. C’est un roman qui marque, un roman qui retourne le coeur et laisse un sentiment d’abattement. 
Une fois la dernière page tournée, impossible de ne pas se demander ce qu’ils se sont dit, impossible d’oublier cette beauté. 









jeudi 14 novembre 2019

Le Coin des libraires - #143 Mafioso de Ray Celestin

Récemment je vous parlais de Mascarade, du fait que j’avais préféré ce tome au précédent, de la complexité des personnages qui semblait avoir pris un cran. Avec sa suite, Mafioso, Ray Celestin n’en finit pas de m’entraîner dans les bas fonds des États-Unis. 

1947, New York. Date importante historiquement parlant. Elle représente l’après-guerre, ainsi que le début de la Guerre froide. D’ailleurs, l’ambiance du roman en est complètement imprégné, regardant le passé et ses fantômes errants au travers de la ville :

C’était ça, le résultat d’une guerre qui avait vu le monde entier s’entre-déchirer, des millions de gens se faire massacrer et l’ombre des morts s’imprimer sur les murs ? Il se demanda, comme souvent, si le monde n’était pas parti avec ce grand embrasement : peut-être l’humanité continuait-elle à vivre son existence dans les limbes, dans une nécropole, et Gabriel était le seul à s’en rendre compte. 

autant que le futur avec le début des répressions contre les communistes, au travers de la fameuse Hollywood blacklist, liste ayant pour but de répertorier les professionnels des studios communistes et ainsi de les forcer à abandonner le communisme, ou à les interdire d’exercer. 1947 sonne la création de cette liste qui fera par la suite bien des dégâts, la fuite de Chaplin des États-Unis au début des années 50, suite à l’ajout de son nom. On peut la voir comme les prémisses de ce qu’on appellera par la suite la chasse aux sorcières que l’on doit au sénateur McCarthy. 

Mafioso met en avant diverses forces, du fantôme de la Seconde Guerre mondiale, à la propagation de la mafia dans toutes les sphères, à la traque du nouveau méchant (qui ne serait qu’un prétexte pour que les autorités lâchent un peu de mou), le communisme. Aussi, il ne faut pas oublier l’importance de la mise en avant de la condition des noirs et de celle des femmes

L’accusé du mystérieux meurtre relaté au début nous remet les idées en place quant à la considération portée aux afro-américains. Et Ida, elle, quasiment l’unique figure féminine de l’oeuvre, est un personnage suffisamment fort et développé pour pouvoir représenter dignement les femmes et la représentation qu’en ont les hommes à cette époque.

Et au-delà de tous ces éléments gravitant autour de nos héros, il y a justement ces héros. On retrouve avec un bonheur non feint le duo Michael/Ida, décidément attachants et intrépides. Michael, désormais à la retraite m’a beaucoup touché. Au même titre qu’Ida, que la vie n’a pas gâté depuis qu’on l’a quittée presque vingt ans auparavant. 

L’évolution des personnages apparaît en filigrane, ils ont grandi, sans nous, mais le sens du détail de Ray Celestin nous permet d’avoir un panorama de leur vie. C’est d’ailleurs avec une telle minutie que l’auteur dissémine ici et là des fragments de leur passé (connus ou non du lecteur d’ailleurs) qu’on se prend à croire qu’on ne les a jamais quittés. 




Et, qui dit nouveau volet, dit aussi nouveau personnage, après D’Andréa puis Dante, voici venu Gabriel. Bon on sent bien que Célestin aime ce type de personnage, qui trempe dans des trucs franchement louches, qui s’est clairement acoquiné avec la mafia. Mais qui a au final un bon fond. J’ai aimé les deux précédents personnages. Mais qu’est-ce que j’ai aimé Gabriel ! L’histoire de sa soeur, ses motivations, ses contacts. Il est mon petit chouchou de cette histoire car malgré sa naïveté, il est (presque toujours) mue par les émotions les plus nobles. 

Faut dire que même Costello, parrain de la famille Luciano, — une des cinq familles de la mafia new-yorkaise, les cinq étant de la Cosa nostra, (déjà apparu dans divers films, il a véritablement existé, au même titre que Lucky Luciano ou encore Vito Genovese) — m’a semblé sympathique. Avec son rhume qui semble plus être une annonce de mort, même si dans la réalité Costello est mort bien des années après, il apparaît comme un personnage autant fragile que dangereux, mais rarement méprisant. 

Tout ce beau monde (et d’autres encore !) se rencontrent au coeur de la ville grouillante, en pleine ébullition, où la criminalité y est exponentielle. Comme pour les deux volets précédents les enquêtes se chevauchent et se complètent. Le lecteur est le mieux renseigné puisqu’il suit les différents pans.

Mafioso c’est l’addiction, le besoin de poursuivre la lecture afin d’arriver au bout, à la conclusion. C’est des pages qui se tournent toutes seules, au rythme de la musique diffusée tout au long de l’ouvrage. C’est les retrouvailles avec Louis Armstrong, mais un Armstrong différent des précédents. Désormais hésitant, dépassé par les progrès, la création du be-bop en 1945 notamment. Fier de son talent, Louis refuse de se laisser aller à la nouveauté, malgré le déclin du big band. 

Mafioso c’est tout ça à la fois et même plus encore. Lecture passionnante, dépaysante. Un vrai coup de coeur tout simplement. 


C’était la musique de l’apocalypse, un grand cri contre tout ce qui déconnait dans le monde, contre l’avenir difforme dont cette génération avait hérité. Ils étaient tous là pour communier dans cette noirceur collective et, par leur réunion même, en réduire l’intensité.








Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...