samedi 2 décembre 2017

Le Coin des libraires - #78 Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan

Voilà des jours que je repousse l'écriture de cet article. Je ne sais pas encore quoi penser de ce livre et donc quoi en dire. 
Rien ne s'oppose à la nuit est le deuxième livre que je lis de Delphine de Vigan, après Jours sans faim qu'une amie m'a prêté il y a de ça des années. C'est un livre qui attend dans ma bibliothèque depuis longtemps maintenant - depuis sa sortie en poche je crois bien. 

J'avais trouvé Jours sans faim très intimiste, à la fois touchant et déchirant, j'ai trouvé Rien ne s'oppose à la nuit délicat et violent à la fois. 

C'est une lecture qui m'a fait me poser énormément de question sur le rôle du métier d'écrivain dans la vie d'une personne, sur ce qu'il peut et doit dire, sur ce qui est admissible et ce qui est, au contraire, inacceptable. 
Alors j'en reviens toujours à cette question : Rien ne s'oppose à la nuit, éloge à une mère ou simple déballage personnel dans le but de faire de l'argent ? 
C'est une vraie question que je me pose et dont je n'arrive pas à trouver de réelle réponse qui soit suffisamment argumentée ce qui est quand même dérangeant quand on souhaite donner son avis sur un livre. 


Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l'écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd'hui je sais aussi qu'elle illustre, comme tant d'autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence. D. de V.



À la fin de ma lecture de ce livre qualifié à tort de "roman" - on peut appeler ça un témoignage, un récit en quelque sorte autobiographique mais je considère qu'on est bien loin du roman, mais passons - je me suis immédiatement interrogée sur les droits de l'auteure, droits qu'elle interroge elle-même tout au long de son livre, mais qui ne donnent pas pour autant une réelle légitimité à sa démarche. D'où sort une telle démarche d'ailleurs, un besoin d'exorciser un passé trop lourd, d'étaler une vie bien triste ou simplement de gagner la sympathie de milliers de lecteurs ? Quel est le but premier finalement, un hommage ? une dénonciation ? 

L'auteure remet toujours en cause sa démarche sans pour autant la justifier d'une façon plus que d'une autre. Elle est hantée par cette histoire, par la vie de sa mère qui a décidé de mettre fin à ses jours, mais la question que je me pose du coup est, maintenant que son livre est paru, qu'il a reçu mille et mille louanges, vit-elle mieux ? est-elle parvenue à passer à autre chose ? 


À mon échelle, je ne peux dire si sa démarche est légitime, en tout cas elle amène à une certaine controverse, dans quelle mesure peut-on étaler la vie d'autrui ? à quel moment peut-on considérer que c'est un besoin et à quel moment est-ce un nécessité commerciale
Il me semble un peu facile d'être heureux de remporter des prix littéraires pour avoir raconter la vie de sa mère, pour avoir ressorti des histoires sordides telles que le possible attouchement que Lucille aurait subit par son père. Je pense qu'il faut être pudique quand on aborde ce genre de sujet, quand on écrit sur un sujet aussi sensible que sa propre famille et a fortiori de sa propre mère qui a choisi de se donner la mort. 


Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine de Vigan, éditions Livre de poche.



"Il me semblait qu’il valait mieux contenir le chagrin, le ficeler, l’étouffer, le faire taire, jusqu’au moment où enfin je me retrouverais seule, plutôt que me laisser aller à ce qui n’aurait pu être qu’un long hurlement ou, pire encore, un râle, et m’eût sans aucun doute plaquée au sol."

Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuit


Peut-être que je suis trop dure, peut-être que l'auteure a voulu écrire sur sa mère afin de lui rendre hommage et si c'est le cas, félicitations parce qu'elle est restée juste, sans tomber dans la facilité ni la détestation, Delphine de Vigan nous a dépeint le visage d'une femme meurtrie par la vie, une femme toujours solitaire qui peine à s'en sortir avec ses deux filles. 
C'est un portrait attachant et fragile que l'auteure a brossé, un portrait qui, je pense, voulait être le plus proche possible de la réalité alors là-dessus je n'ai rien de négatif à dire. 

En mettant de côté toutes ces questions de ce qui est admissible et ce qui ne l'est pas, je dois dire que j'ai apprécié ma lecture. Bon, j'ai eu beaucoup de mal à entrer dedans, l'enfance de Lucille étant relativement ennuyante j'ai trouvé que c'était un peu long, mais une fois qu'on arrive au moment où Lucille est adolescente, j'étais partie. 

Entrer comme ça dans la vie d'une personne décédée m'a vraiment fait bizarre, parfois j'étais vraiment mal à l'aise : avoir l'impression de connaître quelqu'un quand on ne l'a jamais rencontré, c'est un sentiment étrange, alors entrer pleinement dans sa vie, connaître ses habitudes, ses qualités comme ses défauts, c'est délicat. 
Savoir qu'il ne s'agit pas d'un roman renforce justement ce sentiment de gêne, de voyeurisme et c'est surtout ça qui m'a dérangé. 

J'ai apprécié les passages où l'auteure parle de sa démarche, où elle parle de ses hésitations, ses cauchemars, son besoin de parler, j'ai trouvé que ça rajoutait une certaine épaisseur à l'oeuvre sans que, comme je l'ai dit plus haut, ça rende la démarche légitime. 

J'ai aimé découvrir Lucile et sa famille, découvrir ses habitudes même si comme je l'ai dit certains passages étaient clairement gênants, mais ça m'a plu et si je devais juger ce livre uniquement sur cette appréciation, je dirais que j'ai vraiment beaucoup aimé et que ça a été une excellente lecture. J'ai apprécié la plume de Delphine de Vigan, on dira ce qu'on voudra, je ne trouve pas que ce soit plat ou quoi, au contraire j'ai trouvé certains passages poétiques tout en étant modestes. 

J'aimerais demander à l'auteure quel était le but de sa démarche, l'intérêt de faire autant de pub lors de sa sortie si ça n'est pas dans une optique commerciale mais intimiste, c'est-à-dire simplement dans un besoin d'écrire pour exorciser, d'écrire pour dire et enfin se libérer, peut-être que j'en aurais l'occasion un jour, ou peut-être pas. Quoi qu'il en soit je reste fixée sur cette ambivalence, sur ce questionnement. 

Il n'empêche que je lirai d'autres livres de Delphine de Vigan, D'après une histoire vraie qui m'attend sagement dans ma bibliothèque déjà, mais aussi Un soir de décembre que j'aimerais lire.


"Lucile est devenue cette femme fragile, d’une beauté singulière, drôle, silencieuse, souvent subversive, qui longtemps s’est tenue au bord du gouffre, sans jamais le quitter tout à fait des yeux, cette femme admirée, désirée, qui suscita les passions, cette femme meurtrie, blessée, humiliée, qui perdit tout en une journée et fit plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, cette femme inconsolable, coupable à perpétuité, murée dans sa solitude."

Delphine de Vigan, Rien ne s'oppose à la nuit.





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