samedi 25 novembre 2017

Le Coin des libraires - #77 Je couche toute nue, Camille/Auguste

"Il a fallu que je te connaisse et tout a pris une vie inconnue, ma terne existence a flambé dans un feu de joie. Merci, car c’est à toi que je dois toute la part de ciel que j’ai eue dans ma vie."

Camille/Auguste, Je couche toute nue - Auguste à Camille, 1886.


Novembre. Cette période de l'année où tout va trop vite, où les jours sont trop courts et où il devient difficile de faire quoi que ce soit. Je croule sous le travail, à tel point que mon rythme de lecture a énormément baissé, mais je suis là, et ce, pour vous parler de ce livre ovni qu'est Je couche toute nue


Tout d'abord je voudrais une fois encore remercier les éditions Slatkine & Cie qui ont si gentiment accepté de m'envoyer ce livre, je suis juste trop contente d'avoir eu la chance de le découvrir. Je trépignais d'impatience de pouvoir me jeter dedans et même si j'ai mis plus de temps que ce que je pensais, je me dis qu'au final, ce n'est pas plus mal de l'avoir dégusté.


Camille Claudel et Auguste Rodin se rencontrent en 1884. Vingt-trois ans les séparent. Elle est encore mineure, et devient l’élève du maître. Ils vont s’aimer neuf ans, se séparer (1883-1895), se retrouver (1895-1899), se perdre enfin (1900). Rodin meurt en pleine gloire en 1917. Camille Claudel est internée en 1913 dans un asile où elle mourra seule en 1943.
L’histoire est connue pour avoir été cent fois dite, filmée. La voici, telle que, brutale, naturelle et poétique. Les sources seules, sans commentaire, ni notes. Correspondance inédite, journaux intimes, carnets… Une passion sans détours, racontée comme un roman. Une biographie vraie où les historiens (Didier Le Fur et Isabelle Mons) s’effacent pour laisser place à la musique des sources.

"[…] comment faut-il vivre ? Et vous m’avez répondu : en travaillant. Et je le comprends bien. Je sens que travailler, c’est vivre sans mourir."
Camille/Auguste, Je couche toute nue - Rainer Maria Rilke à Auguste Rodin, 11 septembre 1902.


Je couche toute nue est un document exceptionnel, ou plutôt, une somme de documents divers et variés qui nous permet d'entrer dans l'effervescence de la vie artistique de la fin du XIXe - début XXe. Contrairement à ce que je croyais à la base, ce livre n'est pas uniquement composé de lettres entre Claudel, Rodin et leurs proches, on y trouve également des coupures de journaux au sujet des sculpteurs, des comptes rendus de Salon ou même des fragments de journaux intimes comme celui des frères Goncourt ou encore de Paul Claudel, écrivain et frère de la sculptrice. 

C'est sans fard que nous entrons dans la vie des deux artistes, on est littéralement catapulté aux premières loges et ça, c'est vraiment génial ! On sent tout d'abord l'immense influence de Rodin dans le milieu de la sculpture, il est énormément plébiscité, et on peut voir à quel point il était reconnu de son vivant - même s'il a dû attendre des années pour enfin recevoir la consécration. 
Le fait d'avoir accès à tous ces documents permet de rythmer la vie des artistes, on a ainsi un rapide échange épistolaire entre Zola et Rodin autour de la statut Balzac, ou même entre Rodin et Rainer Maria Rilke par exemple. 

Néanmoins Claudel parvient petit à petit à se faire connaître, elle passe de "l'élève de Rodin" à son propre maître, elle est d'ailleurs souvent valorisée dans les journaux, son travail paraît être reconnu, mais paradoxalement, elle ne parvient pas à vivre de ses oeuvres. 
Un premier bémol (il n'y en aura que deux et ce sont surtout des détails) réside dans le fait que je m'attendais à trouver plus de lettres entre Claudel et Rodin, finalement il y en a assez peu, mais elles sont toujours très forte émotionnellement parlant et elles permettent d'accéder à une infime partie de ce qui les reliaient tous les deux. 


Je couche toute nue commence en quelque sorte quand Camille devient l'élève d'Auguste et se termine un peu après la mort de celle-ci en 1943 - plus spécifiquement après la mort de son frère Paul. Leur relation amoureuse est connue, mais les causes de leur séparation restent assez floues - on sait qu'elle aurait décidé de rompre parce que Rodin refusait de se séparer de sa femme et il y a des rumeurs d'avortement, mais c'est mystérieux. 
Étant une grande fan de l'artiste, j'appréhendais un peu le moment de son internement (en 1913) et sa captivité durant les trente dernières années de sa vie. Le moins qu'on puisse dire c'est que niveau apprentissage, je suis servie ! 


Elle a été internée pour délire de persécution (entre autres choses) et en voyant les lettres qu'elle adressait à sa famille (sa mère et son frère), on peut voir qu'elle avait bien un problème à ce niveau-là. Je me demande à partir de quel moment toutes ces idées ont germées dans son esprit - certains disent que c'est après qu'elle ait dû avorter d'un enfant de Rodin - et pourquoi fallait-il nécessairement qu'elle accuse son ancien amant. On voit clairement que Rodin n'est pas la cause de son internement, il veut l'aider au contraire, et ce, même après leur séparation, où il fera en sorte qu'elle vive le mieux possible en lui versant une petite pension tous les mois à titre anonyme. 
Peut-être que c'était trop dur pour Camille de simplement accepter que sa famille se cachait derrière l'internement. En même temps faut dire qu'elle avait pas l'air gâté niveau famille, son père avait à peine le pied dans la tombe que la mère et le fils faisaient en sorte qu'elle soit internée... 


Je couche toute nue, Camille/Auguste, éditions Slatkine & Cie.


On assiste à sa descente aux enfers, comment elle a eu besoin d'incriminer Rodin pour justifier le manque de reconnaissance, la façon qu'elle avait de s'enfermer chez elle de peur qu'on ne vienne lui voler ses oeuvres, ou même son autodestruction lorsqu'elle a brûlé ses oeuvres pour ne pas que "ses ennemis" puissent s'en emparer... Oui, elle avait clairement un problème, c'est indéniable, et ses lettres le montrent particulièrement bien, mais de là à être interné pendant 30 ans, de là à être rejetée par sa propre famille qui en fait clairement une pestiférée, une catin même - surtout sa mère - c'est franchement dur. 

J'ai été choquée par le manque de considération, par cette façon qu'avait sa mère de la rejeter, de la mettre en porte à faux, de ne pas envisager une seule seconde qu'elle soit transférée dans un asile sur Paris et encore moins qu'elle revienne habiter chez elle. 
On sent qu'il y a anguille sous roche et que ce n'est pas seulement la façon qu'avait Camille de vivre qui l'a condamné. Sa mère est bien trop véhémente, elle a bien trop honte de sa fille pour que ça se résume seulement à une vie de reclus, de famine et de laisser aller. 
Et c'est là que les propos de Paul Claudel viennent nous éclairer - un peu en tout cas - puisqu'il y a cette lettre envoyée à Mme Rolland - oui, la femme de Romain Rolland, il y en a des figures illustres dans ce livre ! - où il l'accuse d'avoir fait comme Camille, d'avoir tué une vie - en d'autres mots : d'avoir subit un avortement. 

On est donc envoyé sur cette piste qui reste obscure jusqu'au bout et qui confirme ce que la rumeur disait déjà. Camille est donc en partie devenue folle parce qu'elle a dû avorter de (ou des) enfant(s) de Rodin ? Peut-être en partie. 
Il y a aussi les propos du petit-fils de Jessie Lipscomb - une sculptrice qui était elle aussi élève d'Auguste et amie de Camille - qui parle du journal de sa grand-mère où cette dernière parle de l'existence d'enfants qu'auraient eu Claudel et Rodin. 


Je ne parle quasiment que de Camille et ce n'est pas anodin, c'est bien parce que j'apprécie énormément son art que j'ai souhaité lire ce livre, je voulais lever le voile autour de son existence si mystérieuse, autour de cette incarcération forcée - c'est en tout cas bien ce que c'est pour moi. 
C'est sans doute pour cela que j'ai préféré le moment où survient son internement, c'est là où tout s'assombrit, où Camille qui ne comprend pas de prime abord va finir par réaliser qu'elle ne sortira jamais, peu importe ses supplications, peu importe ses requêtes auprès des médecins, elle ne sortira pas. En grande partie parce que sa mère n'avait aucune envie de l'avoir sur le dos et parce que son frère était sans aucun doute un religieux réfractaire et égoïste. Je ne vois pas d'autres mots pour définir leur comportement, cette façon de parler d'elle comme si elle avait la peste et d'en faire le diable en personne, c'est abject. 

En tant qu'auteur, je ne sais pas si j'apprécie Paul Claudel, n'ayant jamais rien lu de lui, mais en tant que personne, il m'apparaît comme étant un être lâche et fermé d'esprit. 
Après tout, il parle lui-même de "libération" lorsqu'il apprend que sa soeur est malade et puis, le comble de l'hypocrisie survient lorsqu'il s'interroge sur ses actions après la mort de Camille. Au moment où c'est trop tard le gars se dit "ah, peut-être que j'aurais dû l'aider ?" ah, bah, peut-être qu'il aurait dû y penser avant de laisser sa soeur pourrir dans un hospice pendant 30 ans ! 
Je ne suis pas médecin, je ne suis donc pas habilitée à dire si elle devait réellement être internée ou si son délire de persécution aurait pu disparaître avec le temps, mais je ne suis franchement pas certaine qu'il y avait besoin de lui infliger toutes ces privations comme de refuser qu'on lui rende visite ou qu'elle écrive à ses amis...


Le deuxième bémol de ce livre est qu'il manque d'illustrations, on entend énormément parler des oeuvres des deux artistes puisqu'on assiste en quelque sorte à la création et à l'évolution de ces dites oeuvres et je pense que ça aurait été un vrai plus d'ajouter les sculptures dont il est fait mention. 
Bien sûr ce n'est qu'un détail là aussi, ça ne m'a pas empêché de regarder sur internet pour certaines d'entre elles, mais disons que j'aurais été comblée. 


Enfin voilà, Je couche toute nue fait partie de mes meilleures lectures de cette année et il faut dire qu'il n'y en a pas tant que ça qui s'élève à ce niveau. J'ai adoré entrer dans l'intimité de ces figures illustres, pouvoir me faire une idée de leur façon de vivre, de l'importance des commandes de l'Etat et surtout du problème que peut poser amour et travail lorsqu'on les mélange. Je l'ai refermé en ayant un sentiment d'injustice extrême pour Camille Claudel qui est passée d'artiste de génie à vieille fille folle, mais son talent transparait toujours aujourd'hui et le passage du temps n'a rien pu faire pour changer cela. 

J'ai grandement minimisé la place de Rodin dans cet article, je m'en rends bien compte, et j'en suis désolée. Mais soit je continue à écrire et on y est jusqu'à demain, soit je conclus en disant que tous les amoureux de sculpture ou d'art en général vont forcément trouver leur bonheur avec cet ouvrage rempli de sincérité, de documents authentiques, qui sont autant d'illustrations de la difficulté d'être une femme sculptrice au XXe (ou devrais-je dire sculpteur...) que d'avoir un aussi grand artiste qu'Auguste Rodin comme mentor. Ils se sont aimés et se sont déchirés. 



"Un jour que Rodin me rendait visite, je l’ai vu soudain s’immobiliser devant ce portrait, le contempler, caresser doucement le métal et pleurer. Oui, pleurer. Comme un enfant. Voilà quinze ans qu’il est mort. En réalité, il n’aura jamais aimé que vous, Camille, je puis le dire aujourd’hui. Tout le reste - ces aventures pitoyables, cette ridicule vie mondaine, lui qui, dans le fond, restait un homme du peuple -, c’était l’exutoire d’une nature excessive. Oh ! je sais bien, Camille, qu’il vous a abandonnée, je ne cherche pas à le justifier. Vous avez trop souffert par lui.[…]"
Camille/Auguste, Je couche toute nue - Eugène Blot à Camille Claudel, 3 septembre 1932.


"Je suis tombée dans le gouffre. Je vis dans un monde si curieux, si étrange. Du rêve que fut ma vie, ceci est le cauchemar."

Camille/Auguste, Je couche toute nue - Camille Claudel à Eugène Blot, 1935 ?







2 commentaires:

  1. J'avais croisé ce roman l'an dernier sur Instagram et c'était le titre qui m'avait interpellée. Franchement, des bouquins qui s'intitulent Je couche toute nue, il y'en a quand même peu ! :) Je l'avais noté puis il est passé après d'autres, qui me paraissaient prioritaires et, résultat, il n'est pas dans ma PAL. Si j'avais besoin d'un avis objectif et détaillé pour me faire une idée, je viens de le trouver sur ton blog. Je pense donc que, à défaut de le lire cette année, ce livre risque de rejoindre ma PAL en 2018...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pardon pour le retard, je n'avais pas vu ton commentaire. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de me lire... Et en effet, je le recommande à 1000%, pour ma part, ça a été une excellente lecture, j'espère qu'il en sera de même pour toi !
      À bientôt

      Supprimer

Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...