mercredi 4 octobre 2017

Le Coin des libraires - #70 Petites reines de Jimmy Lévy

Je sais d'avance que cet article va être extrêmement difficile à écrire, mais il le faut, rien que pour partager avec vous le plaisir que je ressenti durant ma lecture de Petites reines de Jimmy Lévy

J'ai été interpellée par cette lecture parce qu'on m'en a extrêmement bien parlé - merci à toi Benoit qui me donne toujours plus envie de découvrir des oeuvres des éditions Cherche-midi et qui m'a permis de découvrir ce petit roman qui m'a procuré un immense plaisir. 

Je ne suis pas le genre à entrer dans l'effervescence que représente la rentrée littéraire. Ce serait mentir de dire qu'aucun titre ne m'intéresse, mais je ne suis pas à l'affût de la pépite de cette rentrée. À vrai dire, je considère qu'il y a des livres de qualité à tout moment de l'année et que la rentrée littéraire n'est finalement qu'une période d'intense publications qui favorise toujours un peu les mêmes auteurs de sorte qu'on se retrouve encerclé par une dizaine de romans sur plus de 500 - on ne dira rien sur le dernier roman d'Amélie Nothomb, celui de Leonor de Recondo (même si je compte bien me l'acheter celui-là !) ou encore le dernier Philippe Besson. 

Donc oui, la rentrée littéraire n'est pas particulièrement mon truc, je ne l'attends pas impatiemment ou je ne vais pas passer les mois de septembre/octobre/novembre à ne lire que des romans de la rentrée littéraire, mais je ne suis pas non plus contre cette énorme coup de pub que cette période représente. Quand on m'a contacté pour me demander si je voulais découvrir Petites reines, je n'ai pas pu m'empêcher de répondre positivement, comme je le dis au-dessus, on m'en a trop bien parlé pour que ça ne m'intrigue pas. 

J'ai quand même toujours un peu peur de ne pas accrocher à un livre dont on m'a si bien parlé que ce soit sur les réseaux sociaux ou même dans ma librairie, mais les goûts et les couleurs, ça ne discute pas ! Enfin bref, je suis contente de pouvoir dire que ça n'a pas été le cas cette fois et que Petites reines entre dans le palmarès de mes coups de coeur de cette année 2017 ! 


Une sidération littéraire
Deux femmes aux antipodes du monde, de l’âge, du siècle, de l’humanité, de la survie.


Une adolescente impubère, dans sa tribu primitive aux confins du désert, lutte pour échapper à la tradition sacrificielle qui pèse sur elle depuis sa naissance.


Une vieille dame indigne sur une plage californienne, au crépuscule de son existence, s’acharne à étouffer sa mémoire et à endiguer les marées de souvenirs qui refluent inexorablement.


Deux petites reines, deux tours en feu.



Petites reines m'a énormément déstabilisé et ce, dès le début. J'ai été choquée par l'incipit de ce roman à tel point que je l'ai relu trois fois avant de poursuivre ma lecture. Dès le début j'ai trouvé ça très cru et même dégueulasse il faut bien le dire, mais paradoxalement, c'est aussi extrêmement bien écrit. 
Je suis tombée sous le charme de ces deux petites reines que tout oppose en apparence. J'ai été entraînée dans la tribu millénaire d'Anoua, dans ses rites et coutumes et surtout par Anoua elle-même, cette petite femme qui est destinée à être tuée comme l'était sa mère avant elle, destinée à être chérie jusqu'à ce qu'elle soit en âge d'enfanter, jusqu'à ce que ses seins poussent et sa fente crache du sang. 

Il en a été de même pour l'autre petite reine, cette femme qui est plus proche de nous puisqu'elle vit en Californie, et que les chapitres lui concernant sont datés de 2001, tandis que de prime abord, on pense qu'Anoua vient d'un siècle passé, d'un passé révolu - ce qui n'est pas vrai comme on finit par le voir.
J'ai trouvé très intéressante toutes ces réflexions sur le souvenir vu comme un empoisonnement. Je suis le genre de personne qui pense tout à fait le contraire, qui ne veut absolument rien oublier en vieillissant, etc, etc. et suivre un personnage qui est littéralement malade à cause de ses souvenirs, ça m'a passionné. Et puis c'est surtout la façon dont Jimmy Lévy écrit, son style percutant et si poétique en même temps... je lisais un page et j'étais là à écrire le numéro de la dite page pour pouvoir en extraire une citation. Je l'ai fait tellement de fois que j'en suis venue à la conclusion que le livre entier est une citation, une poétique de la crudité (voire de la vulgarité parfois) en quelque sorte. 


Petites reines de Jimmy Lévy, éditions Cherche midi.


Finalement on finit par se rendre compte que ces deux femmes ont des points communs, elles ont une soif de liberté insatiable par exemple, mais elles ont tout autant de dissensions. L'une abandonne son enfant sans regarder en arrière tandis que l'autre est stérile et aurait souhaité avoir un enfant. 
Elles sont surtout le portrait de deux destins de femmes hantées par des souvenirs encombrants, des souvenirs morbides qui sont à la genèse même de ce qu'elles sont.


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Si vous n'avez pas lu ce livre, je conseille fortement de ne pas lire les lignes qui vont suivre ! - sauf si vous ne l'avez pas lu et ne comptez pas le lire - mais je pense que vous ne lirez pas cet article si c'était le cas. 
J'ai énormément réfléchi à ma lecture durant les quelques jours qui ont suivi et j'en suis venue à une espèce de théorie absolument invraisemblable, mais après tout, je n'arrive pas à me la sortir de la tête.
Disons que j'ai deux opinions à propos de ce livre : la première est que l'on suit deux destins de femmes bien réelles et si c'est le cas, cette sorte de retrouvailles à la toute fin ne m'enthousiasme pas du tout. Il est intéressant qu'elles se rencontrent, mais de là à se revoir à la fin, je ne comprends pas trop l'intérêt. 

La seconde est qu'un des deux personnages n'existent pas réellement. Je m'explique.
J'ai commencé à avoir des doutes par rapport à ça après que Pain d'épice ait renommé la californienne en Queenie, puisque ça signifie que jamais on nous donne son véritable nom, son "état civil" en gros et là, je ne sais pas, j'ai commencé à me demander si elle ne s'appelle pas Anoua ou quelque chose dans ce goût là. Je n'ai aucune idée de la véracité de ce que j'avance, mais l'auteur insiste énormément sur la place du mensonge, sur le fait que Queenie est une menteuse alors que doit-on croire ? qu'elle passe son temps à nous mentir, qu'elle est véritablement atteinte de la maladie d'alzheimer ? et si c'est le cas, n'est-il pas possible que lorsqu'elle oublie qui elle est vraiment, elle divague complètement et devient ainsi Anoua, du moins, elle se prend pour elle jusqu'au point de raconter une histoire absolument fantasmée mais dont certains points se rejoignent ? Enfin, j'ai été interpellée par le passage où Anoua parle des souvenirs qui ne la touche plus. En sachant que la rapport aux souvenirs est extrêmement fort chez Queenie, je ne sais pas, ça m'a lancé sur cette piste qui, maintenant que je l'écris vraiment me semble tout à fait loufoque ! 
Et pourtant, ça expliquerait en partie cette fin, ces "retrouvailles" qui ne peuvent se faire qu'au moment où Queenie va mourir, qu'au moment où, dans un dernier instant de lucidité elle se voit et voit en même temps sa création, son être de papier, son moi qui n'est pas réellement son moi mais qu'elle considère comme tel - une sorte de projection/hallucination de la maladie -- et oui, j'avais prévenue que ça partirait loin... 

Bon après, je n'ai absolument aucune idée de si cette hypothèse est possible ou pas, je pense plutôt qu'elle est complètement folle mais je n'arrête pas d'y penser alors autant l'exposer. 
J'ajoute enfin que si on suit cette hypothèse, je suis incapable d'expliquer les événements antérieurs à la fin et surtout la première rencontre entre Anoua et Queenie dans les années 70/80 peut-être. 
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Sans hésitation, le gros point fort de ce livre a été pour moi le style de l'auteur, vraiment, je salue cette capacité à écrire des choses si belles sur des sujets si moches, c'est sublime et répugnant à la fois je trouve que c'est une réelle prouesse et en tout cas, ça a parfaitement fonctionné avec moi ! 
C'est un roman qui reste difficile à lire parce qu'il est emprunt de réalisme, on visualise parfaitement bien la tribu ancestrale d'Anoua, la barbarie du chef clanique et des coutumes comme on visualise la mouette qui revient sans cesse auprès de la maison sur le bord de la plage. 

Pour moi c'est un livre unique qui m'a énormément bouleversé, submergé, tourmenté. En deux petits jours il était lu alors que j'avais le temps de rien et que j'ai failli refuser de le lire pour cette raison - ce qui aurait été une grossière erreur de ma part !
C'est rare qu'un roman me touche à ce point, encore plus quand il s'agit d'un roman contemporain - le seul autre que je pourrais citer là est Seuls de Laurent Mauvignier dans un registre qui est tout à fait différent. Et pourtant je sais que je garderai un souvenir impérissable de cette lecture tout aussi poignante que bouleversante. 



"Pour ce qui m’est arrivé dans des temps très lointains, il reste des lambeaux, images décolorées, parfums partiels, poudres en suspension, bric-à-brac de sentiments élimés, une gigantesque brocante de lieux, visages, objets disparus mais toujours en cours de disparition. Rien ne disparaît vraiment il reste toujours une trace, et quand la trace disparaît elle laisse à son tour une trace, et cette dernière trace de la trace devient une blessure encore plus cuisante que la douleur de la chose disparue. Les êtres et les choses sont toujours moins dangereux que leurs traces."

Jimmy Lévy, Petites reines.

"Les jolies souvenirs ne me tuent plus. Ils se sont usés à force d’être toujours les mêmes. Nago ne me tue plus. Mes rêves sont vagues et lourds. Ils s’effacent au réveil et ne me laissent qu’un goût de sang dans la bouche. Pourtant les gens de ma tribu disent que je suis au faîte de ma beauté, au comble de ma splendeur, à l’apogée irradiant de mon règne sacré. De si haut je ne peux que chuter. Il ne me reste plus qu’à attendre de déchoir. Je ne sais pas m’y résoudre. Il faut que je trouve moyen de chahuter mon coeur engourdi, de le faire battre à nouveau comme lorsqu’il voulait sortir de ma poitrine d’enfant qui courait éperdue à la rencontre du monde. Trouver la pluie qui me rendra source. Ce ne sera pas une pluie d’antan, une de ces vieilles pluies que la sécheresse absorbe instantanément. Il me faut une pluie qui inonde et dévaste, autre chose que l’immobilité de la pierre. Quitte à précipiter ma chute. Il me faut autre chose que l’attente du sable qui ensevelit. Quitte à finir dans la gueule des hyènes au milieu du désert. La seule chose que je sais, c’est que je ne peux pas continuer à être Anoua, le nuage sans pluie dans un ciel vide."
Jimmy Lévy, Petites reines.





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