mercredi 30 août 2017

Le Coin des libraires - #65 Dernier voyage à Buenos-Aires de Louis-Bernard Robitaille

Avec la fin de mes partiels, j'ai eu la chance de recevoir en cadeau Dernier voyage à Buenos-Aires de Louis-Bernard Robitaille que je convoitais depuis des mois ! Je déteste commander sur Internet parce que je déteste attendre, je ne l'ai jamais acheté avant pour cette raison - il s'agit de la toute première publication de la collection Notabilia, publié en 2013, donc il est difficile de le trouver en librairie.

Comme j'avais très envie de me plonger dedans, j'ai terminé Les Nuits de laitue de Vanessa Barbara et j'ai enchaîné avec celui-ci, et on peut le dire, je n'ai pas été déçue de ma lecture.


Jefferson Woodbridge avait débarqué à Paris à vingt ans avec l’intention de devenir un romancier américain célèbre. Quelques décennies plus tard, on le retrouve, désabusé, obscur tâcheron du monde de l’édition qui apprécie ses qualités de nègre et de traducteur. Lorsque le docteur Moreno lui annonce qu’il sera aveugle dans les six mois, cela lui apparaît comme une délivrance : « Ainsi donc je n’aurai plus jamais le temps de m’ennuyer », se dit-il, en prenant la décision d’aller mettre fin à ses jours à Buenos Aires. La proximité de la mort fait également ressurgir le souvenir de Magdalena, la première femme, peut-être la seule, qui ait compté dans sa vie. Une jeune femme solaire, fantasque et insaisissable dont l’apparition un samedi soir au métro Mairie de Montreuil l’avait ébloui. Comme dans un rêve, il se souvient d’avoir vécu avec Magda la vie de bohême à Paris. Un jour elle avait disparu.



Le postulat de départ donne envie, c'est évident, et la suite également puisqu'on va remonter dans le passé de Jefferson pour en apprendre plus sur la mystérieuse Magdalena. Il m'a beaucoup fait penser au livre, Le dernier gardien d'Ellis Island de Gaëlle Josse pour le postulat de départ : après une nouvelle (ici l'annonce de sa cécité, dans l'autre, l'annonce de la fermeture d'Ellis) le protagoniste se remémore sa vie passée. Celle de John se concentre sur son poste au sein de la prison, celle de Jefferson sur sa relation tumultueuse avec Magda.

Ma lecture a été addictive, l'écriture est minutieuse, et même si on connaît la finalité de la relation entre les deux, on a juste envie d'en savoir plus, de connaître tous les tenants et aboutissants qui ont mené à cette conclusion. Ce n'est pas la vie de Jefferson qui est au centre, enfin elle l'est indirectement avec le fait qu'il soit venu à Paris pour devenir un grand écrivain par exemple, mais tout tourne autour de sa culpabilité, de cette femme qui le hante encore maintenant.

Le personnage de Jefferson n'est pas particulièrement attachant, certains de ses traits le sont, sa volonté de devenir écrivain, mais à ses rêves de grandeur viennent s'ajouter ses tendances à la flemmardise et finalement, il ne deviendra jamais ce qu'il voulait, il ne publiera jamais rien de son nom, sa vie entière semble se résumer à Magda.


Dernier voyage à Buenos-Aires de Louis-Bernard Robitaille, collection Notabilia.


Pour ce qui est de Magda, j'ai adoré son personnage. Il est raconté par le point de vue de Jefferson et il nous révèle une large palette du caractère de la femme. Sa beauté tout d'abord, mais aussi sa douleur, elle nous est pas clairement dite, mais certains passages sont extrêmement tristes, comme ceux où il lui dit qu'il est mieux qu'ils vivent séparés, ceux où il l'évite, etc. Pourtant, il revient toujours, et peut-être que ça a été le problème, peut-être que c'était trop douloureux pour elle de ne l'avoir qu'à moitié, de devoir supporter son indifférence.

Alors oui, Jefferson me fait de la peine après coup, mais il n'a pas été très correct avec elle, pas du tout même, on dirait qu'au fur et à mesure, elle est devenue l'ombre d'elle-même et c'est bien ce qu'il s'est passé.


J'ai adoré l'histoire, l'espèce de désespoir de cet Américain venu à Paris pour vivre une vie d'écrivain accompli, pour suivre les traces d'Hemingway ou de Fitzgerald et qui a dû renoncer à tout ça. Je ne peux pas m'empêcher de me demander s'il ne s'est pas saboté tout seul, s'il n'a pas eu assez de courage pour atteindre son but ou si tout simplement il n'était pas fait pour être ce qu'il souhaitait, mais dans tous les cas, j'ai de la peine pour lui. Mais tout s'efface quand je pense à Magda, au fait qu'il n'ait jamais essayé de prendre soin d'elle, qu'il ait voulu l'exhiber tel un trophée récemment gagné.

C'est un détail, mais j'aurais préféré un autre titre, je ne trouve pas que celui-ci ait suffisamment de poids pour porter une telle histoire. En se plongeant dans le livre, on s'attend à découvrir l'Argentine, ou du moins qu'on en parle plus que ça. Finalement, ici, on voyage énormément en Europe, mais on ne voit pas l'Argentine.


Maintenant que je sais que j'ai aimé Dernier voyage à Buenos-Aires, je pense bientôt m'atteler à La Péninsule, un autre livre de Louis-Bernard Robitaille paru chez Notabilia également.


"En même temps, je savais que l’image, si profondément enfouie fût-elle, ne se détruirait jamais tout à fait, qu’elle menaçait un jour ou l’autre de reprendre vie, épaisseur, couleur et forme, pour revenir me tourmenter. Je me demandai un instant si l’on pouvait mourir de honte."

Louis-Bernard Robitaille, Dernier voyage à Buenos-Aires.






mercredi 23 août 2017

Le Coin des libraires - #64 Les Nuits de laitue de Vanessa Barbara

Après avoir lu Phobie de Sarah Cohen-Scali, j'ai voulu m'attaquer à quelque chose de léger alors j'ai décidé de lire Les Nuits de laitue de Vanessa Barbara et je n'ai pas été déçue. 

Si je ne me trompe pas, il s'agit du deuxième livre des éditions Zulma que je lis - le premier ayant été Vent printanier de Hubert Haddad - mais j'en ai quelques uns dans ma pile à lire, notamment de Hubert Haddad toujours, je ne sais pas, je n'arrive pas à trouver le temps pour le lire - si quelqu'un l'a lu et peut me donner son avis dessus ce serait bienvenu ! 



Otto et Ada partagent depuis un demi-siècle une maison jaune perchée sur une colline et une égale passion pour le chou-fleur à la milanaise, le ping-pong et les documentaires animaliers. Sans compter qu’Ada participe intensément à la vie du voisinage, microcosme baroque et réjouissant.
Il y a d’abord Nico, préparateur en pharmacie obsédé par les effets secondaires indésirables ; Aníbal, facteur fantasque qui confond systématiquement les destinataires pour favoriser le lien social ; Iolanda et ses chihuahuas hystériques ; Mariana, anthropologue amateur qui cite Marcel Mauss à tout-va ; M. Taniguchi, centenaire japonais persuadé que la Seconde Guerre mondiale n’est pas finie.
Quant à Otto, lecteur passionné de romans noirs, il combat ses insomnies à grandes gorgées de tisane tout en soupçonnant qu’on lui cache quelque chose…


Avec un titre aussi loufoque, on ne pouvait suivre qu'une histoire elle-même loufoque et c'est exactement ce que c'est, un roman qui te fait passer un bon moment, sans prise de tête, et ça fait du bien ! On suit donc Otto, qui doit vivre seul depuis la mort soudaine de sa femme Ada. On va suivre ce personnage perdu dans cette vie de solitaire, incapable de changer une ampoule par lui-même, voué à la solitude parce qu'il n'y avait qu'elle qui parlait avec les voisins et lui racontait tout par la suite. 

On voit des souvenirs de leur vie, la façon dont ils étaient ensemble, ce qu'ils faisaient de leur journée. On découvre alors la grande absente du livre, celle qui est au centre de ce microcosme que représente le voisinage, celle qui est partie et est liée aux intrigues (celle d'Otto consiste à savoir ce que cachent ses voisins, celle des voisins consiste à cacher un triste événement dont Ada a été la complice). 

C'est un livre léger tout en étant assez grave : il traite quand même de la perte, de la mort, de meurtre. Et pourtant, c'est tout doux, il n'y a pas de vocabulaire percutant, ou autre, on suit les événements comme ils se déroulent et on patiente sagement jusqu'aux dernières révélations. 
Je n'ai pas eu besoin de dévorer ce livre, déjà parce qu'il est relativement court, mais aussi parce qu'il ne s'y est pas prêté. J'ai aimé le lire, mais je ne me suis pas jetée dessus comme ça peut être le cas pour d'autres. 


Les Nuits de laitue de Vanessa Barbara, éditions Zulma.


Globalement j'ai passé un bon moment, j'ai aimé me tenir auprès d'Otto et vivre sa confusion, sa méfiance envers ses voisins. J'ai aimé son espèce de répulsion des autres, la volonté de vouloir rester seul tout en étant comme commandé par une force intérieure qui cherche la chaleur humaine. 
Otto reste le grand ignorant de l'histoire, il ne sait rien et ne saura pas.
Je dois dire que je ne m'attendais pas à cette révélation, l'histoire avec cet ancien soldat japonais qui m'a amusée, m'a fait de la peine, m'a dégoutée par tant de fanatisme, je ne m'y attendais pas du tout et j'ai trouvé ça bien ficelé. Parce que oui, ceci explique cela. 

Les personnages sont très bien décrits, mais la plupart ne m'ont pas touchée. Excepté Otto, ce vieux Mr Tanigushi et Ada bien sûr. En revanche, il faut reconnaître que chaque personnage est différent des autres, j'ai par exemple beaucoup aimé l'espèce de fascination qu'a Nico pour les notices de médicament, ça m'a beaucoup amusée. 

Finalement je dirais que ça a été une lecture agréable, un bon premier roman pour Vanessa Barbara qui arrive très bien à lier une intrigue sombre à un ton léger, dénué d'accusations, mais rempli de faux semblants. 





samedi 19 août 2017

Le Coin des libraires - #63 La sublime communauté I. Les Affamés d'Emmanuelle Han

J'ai eu la chance de recevoir en avant-première Les Affamés, le premier volet de La sublime communauté d'Emmanuelle Han par le biais de Babelio et des éditions Actes Sud - la parution est prévue pour le 4 octobre ce qui laisse encore du temps. 

En temps normal je dois dire que je n'aurais sans doute pas acheté ce livre, la couverture ne fait absolument pas envie, l'auteure m'est inconnue et comme je ne lis jamais les quatrièmes, je ne vois pas comment j'aurais pu me retrouver avec ce livre entre les mains et pourtant ! 
Pourtant on m'a proposé de participer à une opération privilégiée et dans ce genre de cas, je lis toujours les résumés. J'ai déjà tellement de livres à lire chez moi que je n'ai pas envie de m'en rajouter juste sous le prétexte que ce sont des livres qui sont offerts puisqu'il faut quand même les lires rapidement - il faut publier son avis dessus un mois au maximum après réception. 


Il faut que je dise dès maintenant que j'ai passé un excellent moment, ça a été une lecture que j'ai beaucoup aimée et qui, malheureusement, donne vraiment trop envie d'en savoir plus, mais il va falloir attendre. 


C'est la fin de notre ère. Aux quatre coins d'une planète surpeuplée et en pleine dévastation, six mystérieuses portes apparaissent, ouvrant des brèches vers des mondes inconnus. En quête d'une terre promise, fuyant la misère et la mort, des flux d'hommes, de femmes et d'enfants désespérés, Les Affamés, se pressent vers ces Six Mondes, ignorant tout à leur sujet. Quels secrets renferment ces Portes ? Quel mal ronge les Affamés ? Quelle est la nature des six Mondes ? En ces temps de détresse où la violence et le chacun-pour-soi font rage, seuls trois enfants pourront le découvrir. Ashoka, Ekian et Tupà ne se connaissent pas, vivent à des milliers de kilomètres de distance. Pourtant, leurs destins sont liés. De leur union dépendra le sort de la Sublime Communauté.



Tout d'abord, j'ai trouvé l'idée novatrice, c'est la fin de notre monde, enfin celle-ci est même déjà survenue et on se retrouve dans un univers rempli de zones d'ombres où tous nos repères ont disparu et où on va suivre trois enfants qui n'ont bien évidemment jamais connu le "monde d'avant". 

J'ai pris énormément de plaisir à découvrir un univers propre à l'auteure déjà, mais surtout un univers inspiré de divers mythes/légendes/traditions avec par exemple la présence d'une sorcière ou même de Hanumãn qui est le patron des lutteurs, le dieu de la sagesse dans la religion hindoue - oui je me suis renseignée quand même ! 
Les inspirations de l'auteure me sont complètement étrangères je dois bien le dire, je m'en sors pas trop mal quand il s'agit de mythologie grecque/romaine et même parfois nordique mais pour le reste, je suis une vraie bille ! Ici, bien que l'auteure transforme les choses un peu à sa sauce, il y a une véritable inspiration et ça m'a permis de considérablement sortir de ma zone de confort et j'ai beaucoup aimé cet aspect. J'ai par exemple découvert ce qu'est le sanskrit - la langue des textes religieux hindous ou bouddhistes. C'est bête, j'ai souvent entendu ce mot, je savais que c'était une langue - quand même ! - mais je n'en avais jamais entendu parler dans un livre et je n'en avais jamais vu à l'écrit non plus.

Vous l'aurez compris j'ai énormément aimé tout l'aspect mythique dans lequel l'auteure a puisé afin de construire son imaginaire. Cet espèce de melting pot m'a énormément séduit, j'ai découvert un monde différent, nouveau et surtout original et pour le coup, c'est là que réside toute la force de ce roman.
Là, et aussi dans les personnages, ces trois enfants/adolescents que l'on suit alternativement. 


La sublime communauté, tome I : Les Affamés d'Emmanuelle Han.


Il y a Tupà d'abord qui a grandi dans une tribu entre le Brésil et l'Argentine. On ne sait pas grand chose sur sa façon de vivre si ce n'est qu'il doit trouver la Terre sans Mal et qu'il passe beaucoup de temps à la ville à faire des magouilles - ce mot est vraiment très laid. Même si c'est sans doute son personnage qui finit par être le plus avancé dans sa connaissance des Transplantés, il est celui qui m'a le moins plu. J'ai aimé le suivre, c'est simplement que jusqu'ici il m'a un peu moins fasciné que les deux autres - même si je dois bien dire que vers la fin du tome, il devient plus intéressant. 

Ekian est la seule fille, elle vient d'une communauté Touareg, donc du Sahara. Son personnage est absolument passionnant - elle est quand même la fille d'Amoulkadine (gros plus pour l'histoire des Étincelants !) et puis je pense que ce n'est pas pour rien si les Guetteurs cherchent absolument à lui mettre la main dessus. 

Et puis enfin, il y a Ashoka que j'adore, littéralement ! Il est le plus jeune, il est vit à Gange, en Inde, au service du roi où son travail consiste à tenir le Feu. Si je trouve le personnage d'Ekian passionnant, celui d'Ashoka est génial pour son rapport à la Flamme, au singe également. Tout l'aspect mythique dont je parlais au début transparaît de ce personnage plus que des autres - d'après moi en tout cas. 

Ces trois personnages ne se connaissent pas, pour preuve ils vivent tous dans des lieux bien éloignés les uns des autres et surtout ils ne savent pas eux-mêmes qu'ils sont différents.
L'auteure maîtrise parfaitement son histoire si bien qu'on en demande toujours plus, mais elle nous dévoile quand même des informations ici et là. Il y a encore plein de choses que l'on ne sait pas - ce qui est normal quand il s'agit d'un premier tome - mais il y a aussi des choses qu'on sait déjà et ça c'est une très bonne chose. On n'est pas sur notre faim à se poser mille et mille questions, non, on est sur notre faim parce que ce qu'on a appris donne l'eau à la bouche.

J'avais peur de finir ce tome sans savoir pourquoi on suit ces personnages et pas d'autres et non, ce n'est pas le cas, les clés nous sont données au fur et à mesure du temps et pour ça, je dis merci à l'auteure. J'ai aussi trouvé que c'était une bonne idée d'insérer des termes espagnols ou encore du tamasheq (la langue touareg) dans le récit, ça donne une véritable impression d'immersion et ça rajoute à l'exotisme de l'histoire. Une distanciation s'opère alors puisqu'on aborde des modes de vie ou de pensées qui sont inconnus et c'est ce qui a rajouté à mon plaisir de lecture. 

Par contre, je n'ai pas compris pourquoi avoir appelé ce tome les Affamés. J'ai compris qui ils sont et tout, mais ils sont tellement relégués au second plan que je ne sais pas, je ne crois pas que ça aurait été le titre que j'aurais choisi. 

C'est un premier volet maîtrisé, bien ficelé et qui donne envie. Également, j'ai trouvé que c'était une bonne idée d'ajouter un extrait du deuxième tome ainsi que de donner son titre et une idée de sa date de sortie - 1er semestre 2018. 
Tout ce que j'ai à dire est vivement, vivement la suite, que je sache qui est l'Observateur, mais surtout, qui est la Sublime communauté ou encore si elle existe bel et bien ? Tout ce que je peux dire c'est que je serai au rendez-vous ! 








mercredi 16 août 2017

Le Coin des libraires - #62 Phobie de Sarah Cohen-Scali

Bien que je sois ouverte à énormément de genres littéraires, je lis peu de roman adolescent/young adult. J'aime bien en lire, certaines histoires sont vraiment très bonnes - je pense à Métamorphose d'Ericka Duflo dont je vous parlerai dans un prochain article et que j'ai adoré ! - mais je n'en lis pas énormément, je ne saurais pas dire pourquoi, même si je pense que c'est en partie parce que je trouve souvent que les histoires sont répétitives, qu'on a toujours la même structure de base et ça m'ennuie rapidement. 

Pour Phobie, ça n'a pas été la même chose, ce livre aborde toutes sortes de sujet dont on ne parle jamais : l'achluphobie (la peur du noir), la thérapie par le biais de la réalité virtuelle. J'ai appris pas mal de choses à ce sujet et j'ai vraiment aimé découvrir quelque chose de nouveau. 


Une odeur de moisi. Une cave. L’obscurité totale. Et la peur. La peur qui prend aux tripes. Cauchemar...ou réalité ? Anna ouvre les yeux et prend peu à peu conscience qu’elle n’est pas en train de faire le cauchemar récurrent qui la tourmente depuis son enfance, mais qu’elle est bel et bien séquestrée. Qui l’a enlevée ? Le croque-mitaine qui la terrorise depuis qu’elle a cinq ans, ou un homme de chair et d’os ? Chargé d’enquêter sur l’enlèvement de la jeune fille, le commandant Ferreira doit collaborer avec un psychiatre, le docteur Fournier. Son enquête est vite reliée à une autre, celle de la disparition du père d’Anna, onze ans auparavant. Onze années de silence et d’oubli à parcourir. Un voyage à rebours, au coeur d’une mémoire secrète.



On suit donc Anna dans sa petite vie pas si tranquille que ça puisqu'elle a peur du noir, mais surtout peur d'autre chose, de celui qui a pris son père, il y a maintenant onze ans. Même si de prime abord on pense que cet événement tragique se trouve derrière l'adolescente, on va être obligé de constater que tout tourne autour de cette mystérieuse disparition.

En plus de traiter le cas d'Anna, on assiste alors aux recherches d'un commissaire qui a assisté au drame des années plus tôt. Il va décider de rechercher Anna déclarée disparue tout en essayant de creuser un peu plus pour tenter de découvrir ce qui est arrivé au père.

Au fil des pages, l'illusion s'emmêle avec la réalité si bien qu'il est difficile de savoir si elle a réellement vu le croque-mitaine comme elle l'a affirmé plus jeune ou si elle est atteinte d'hallucination ou a simplement fait un cauchemar, enfin toutes sortes d'hypothèses se révèlent être tout sauf loufoques !
Durant une large partie du livre - jusqu'à ce qu'Anna soit "retrouvée" - on se met à être méfiant envers tous les personnages, excepté le commissaire Fereira qui n'a pas l'air de cacher quoi que ce soit.



Phobie de Sarah Cohen-Scali aux éditons Gulf Stream, collection Électrogène 


J'ai énormément aimé tout le parallèle avec les contes de fées, le lien fait avec son père pour qu'elle puisse vaincre sa peur et aller de l'avant. Le personnage d'Anna m'a plu, surtout pendant sa séquestration, je me suis énormément attachée à elle, et malheureusement je n'ai pas trop aimé son changement de tempérament par la suite, je l'ai trouvé un peu trop sûre d'elle, même si je comprends pourquoi elle prend confiance, je trouve que c'est trop radical.
Forcément j'ai aimé aussi le psychiatre, il n'hésite pas à prendre des risques, il va un peu trop loin quand même, mais il réussit, ses actions aboutissent, comme celle de Fereira.

Phobie est un roman très bien ficelé. Je croyais que tout allait tourner autour de la disparition d'Anna mais en fait non pas du tout et la suite nous révèle de très bonnes surprises. J'ai adoré le fait que l'auteure ait décidé d'aborder un sujet vrai, même si comme elle le dit elle-même à la fin, elle a pris des libertés par rapport à la réalité, il n'empêche qu'elle se fonde sur une partie de vérité, le service nommée dans l'hôpital parisien existe bel et bien, etc.

Ce livre change des mes lectures habituels, Sophie Cohen-Scali a mélangé le thriller psychologique au roman policier en quelque sorte, mais dans une représentation qui est vraiment peu commune. Je me suis prise à l'intrigue, aux recherches, aux rebondissements.
Ça a été un vrai plaisir de lecture, j'ai passé un bon moment et c'est ce dont j'avais besoin, alors on peut dire que Phobie a rempli son rôle.






mercredi 9 août 2017

Le Coin des libraires - #61 Sonderkommando, entretien avec Shlomo Venezia

Un autre livre sur la Seconde Guerre mondiale, oui je sais. Ce ne sera pas le dernier en plus, puisque j'ai lu par la suite Le Journal d'Helga d'Helga Weissová. 

J'ai toujours voulu en apprendre plus sur les Sonderkommando, ces juifs qui étaient assignés aux travaux dans les crématoires, comme aider les prisonniers à se déshabiller avant d'entrer dans les douches, retirer les corps après que le Zyklon B ait fait son travail, ou même "enfourner" les corps dans les fours...
Comme je le disais dans mon article sur Primo Levi, tous les récits de guerre sont abominables, les camps le sont particulièrement - parce que c'est un sujet foisonnant, où la liberté de paroles s'est accomplie et parce que ça a touché une large partie du monde -, mais là, j'avais bien conscience que ça allait sans doute être pire encore. En effet, on peut dire que ça l'a été. 


Issu de la communauté juive italienne de Salonique, Shlomo Venezia fut déporté à l’âge de vingt et un ans à Auschwitz-Birkenau, et incorporé dans les Sonderkommandos, ces « équipes spéciales » chargées par les SS de vider les chambres à gaz et de brûler les corps des victimes, avant d’être éliminées à leur tour au bout de quelques mois. Plus d’un demi-siècle après, le témoignage d’un des rares rescapés.


Début mai, j'ai été voir une exposition au Mémorial de la Shoah de Paris, cette exposition était sur la WWII dans la BD - d'ailleurs c'est une expo vraiment très intéressante, elle vaut le détour ! - et après ça, j'ai été dans la librairie du Mémorial. C'est ici que j'ai trouvé Sonderkommando et Le Journal d'Helga, deux livres que je ne connaissais pas et qui m'ont fait très envie - en plus de beaucoup d'autres ! 

Évidemment, il ne sert à rien de dire à quel point ce livre est dur, à quel point il est sale et emmène le lecteur jusqu'au dégoût. Pas du dégoût pour le travail que ces juifs ont dû faire de force, mais pour ceux qui les ont poussé à faire ça. 
Avec ce livre, on découvre une nouvelle image des camps, celle des Sonderkommando qui sont tantôt vus comme des "privilégiés" (ils ont plus de nourriture par exemple) tantôt comme des complices du régime nazi. 

L'idée d'entrer en quelque sorte dans les bas-fonds par le biais de cet entretien de Shlomo Venezia donne au lecteur la possibilité d'apprendre plus de choses, des éléments dont on ne parle jamais comme par exemple la situation de la Grèce lors de son annexion. D'ailleurs, les quelques pages à la fin du livre donne plus de détails historiques et permettent de comprendre un peu mieux comment les choses se sont passées lorsque Mussolini était allié à Hitler et comment elles se sont passées lorsque les deux dictateurs sont devenus ennemis. 

Shlomo Venezia, juif grec, nous raconte sa vie avant sa déportation, puis sa déportation avec sa famille, qui a été entièrement décimée à l'exception de sa soeur aînée, et de son frère qui était avec lui dans les Sondekommando. 


Sonderkommando, entretien avec Shlomo Venezia, éditions Livre de poche

Même après autant d'années, il donne des informations très précises sur ce qu'il y a vécu, sur les gardiens dans le crématoire (lui travaillait dans le crématoire III, un des plus utilisés), sur la révolte peut-être vaine des Sonderkommando, sur la vie de guerre, leur évasion pour ne pas être tué. Shlomo Venezia a eu de la chance d'y arriver à ce moment-là. Ce poste est évidemment le pire de tous, les Sonderkommando sont à l'écart des autres prisonniers pour ne pas qu'ils puissent parler, ils dorment dans le crématoire, ils mettent au feu des corps inertes d'inconnus, d'amis, de la famille, ils broient les os qui n'ont pas bien brûlés. C'est pour cette raison que les nazis ont décidé de tous les gazer au bout de trois mois, Shlomo y est resté bien plus de trois mois, il y est resté jusqu'à ce que le camp soit évacué. L'explication au fait qu'il n'ait pas été gazé est simple : les Allemands, voyant qu'ils allaient perdre la guerre, il devait faire au plus vite pour tuer un maximum de personne, il n'y avait donc pas le temps de s'occuper des équipes de Sonderkommando. Après ça, il a fallu de la main d'oeuvre pour démonter les crématoires et ne laisser aucune trace. Une fois encore, les prisonniers ne pouvaient pas avoir un accès libre aux crématoires, ils ne devaient pas voir la configuration des lieux, une fois encore pour ne laisser aucune trace. 
Si Shlomo a pu témoigner, c'est parce qu'il s'est enfui, parce qu'il savait que sa mort allait poindre le bout son nez s'il restait dans le camps pendant que les autres détenus étaient évacués. 


C'est un récit vraiment horrible, je n'ai pas d'autres mots. Certains passages m'ont retourné l'estomac, ils m'ont écoeuré, dégouté plus que pour ma lecture de Primo Levi ou même Charlotte Delbo. Je pense à ce passage où le rescapé confie qu'il a dû aider son oncle à se déshabiller pour l'envoyer à la mort, qu'il lui a donné un petit quelque chose à manger parce qu'il savait que c'était la fin pour lui et qu'il voulait le tranquilliser. Il explique que ses "coéquipiers" se sont occupés du reste (le sortir de la chambre à gaz, le mener au four, le mettre dedans...). Ce passage est sans doute celui qui m'a le plus marqué. Je ne saurais dire pourquoi parce que franchement, je ne suis pas certaine qu'il soit le pire de tous. 

Aujourd'hui, mon avis est comme celui d'hier, les membres du Sonderkommando n'auraient jamais fait ce travail de leur propre volonté, de gaieté de coeur, Shlomo a fait une erreur, celle de se proposer pour un travail sans savoir en quoi il consistait et ce, pour un peu plus de nourriture que les autres. Qui peut bien vouloir faire ça de son propre chef franchement ? La révolte est la preuve que ces hommes ne voulaient pas faire ça, qu'il voulait mettre fin à toute cette horreur en faisant exploser les crématoires. Alors oui, la révolte a été rapidement étouffée, mais elle a bien eu lieu. 


Ce texte est très difficile à lire, mais il est également très riche en informations sur un poste trop peu abordé - en même temps, il y a eu peu de survivants des Sonderkommandos pour témoigner... Il doit être lu tout comme Levi doit l'être, il doit être plus connu parce qu'il est un récit précieux pour nous, les générations suivantes. 


"Cela me réconforte de savoir que je ne parle pas dans le vide, car témoigner représente un sacrifice énorme. Ça ranime une souffrance lancinante qui ne me quitte jamais. Tout va bien et, tout d’un coup, je me sens désespéré. Dès que je ressens un peu de joie, quelque chose en moi se bloque immédiatement. C’est comme une tare intérieure ; je l’appelle la « maladie des survivants ». Ce n’est pas le typhus, la tuberculose ou les autres maladies qu’on a pu attraper. C’est une maladie qui nous ronge de l’intérieur et qui détruit tout sentiment de joie. Je la traîne depuis ce temps de souffrance dans le camp. Cette maladie ne me laisse jamais un moment de joie ou d’insouciance, c’est une humeur qui en permanence érode mes forces."
Shlomo Venezia, Sonderkommando.








Le ciel en sa fureur d'Adeline Fleury

Quand le varou m'emportera je m'endormirai dans le ciel de tes yeux. Sous les auspices de Jean de La Fontaine, Adeline Fleury nous ...