samedi 28 février 2015

Le Coin des Libraires - # 13 Karoo de Steve Tesich

Encore un livre que j'ai découvert grâce/à cause de sa couverture. Oui j'ai été comme appelé par ce pavé de 600 pages qu'est Karoo de Steve Tesich. En plus d'avoir une couverture non-convetionnelle, il a été récompensé du Prix du meilleur roman des lecteurs de Points de l'année 2014. Pour une fois, je n'étais pas effrayée de lire 600 pages d'un même bouquin, d'habitude, j'ai toujours cette pointe d'ennui qui apparaît à la vue d'un gros livre, ici, ce ne fût pas le cas. 

Quelques mots sur l'auteur. Steve Tesich était un scénariste américain, Karoo a été publié à titre posthume. Pour ceux à qui ce nom ne dit rien, il a notamment travaillé sur l'adaptation de Monde selon Garp de George Roy Hill.

"Le même principe se retrouve dans mes mensonges chroniques. Je ne mens pas parce que j'ai peur de la vérité mais, plutôt, en une tentative désespérée de préserver ma foi en son existence. Quand je mens, j'ai l'impression de vraiment me cacher de la vérité. Ma terreur, c'est que si jamais je cessais de me cacher de la vérité, je pourrais découvrir qu'elle n'existe même pas."
Steve Tesich, Karoo.

C'est après avoir fini mes lectures en cours que j'ai commencé Karoo. Au début, je ne savais pas trop où l'auteur allait, je ne voyais pas trop le rapport entre ce personnage qu'on suit, Saul Karoo et le résumé de la quatrième. Pourtant, l'histoire me plaisait bien, ce protagoniste qui de prime abord semble complètement antipathique, possède en réalité des traits plutôt intéressants. J'ai été éblouie par la facilité avec laquelle l'auteur exprime des sentiments si forts tels que l'amour ou encore la haine. J'ai littéralement été fasciné par cette plume si lisible et en même temps si torturée, si étourdissante. 

C'est avec cet aveuglement sans pareille que j'ai continué ma lecture, un peu au hasard, tout en suivant Saul, tenaillé par ses propres démons. J'ai pris du plaisir à lire son histoire, - qui soi-dit en passant est écrite à la troisième personne. 
Saul Karoo est américain, il vit à New York et travaille en tant que script director pour Hollywood, en d'autres mots, il réécrit des scénarios pour le cinéma. 
Faisant moi-même des études de cinéma, j'ai trouvé cette approche très intéressante, il y a un fort questionnement sur le statut d'oeuvre d'art, de chef-d'oeuvre, aspect que j'ai trouvé vraiment utile pour comprendre la complexité de notre personnage. Surtout que cette description apparaît comme plausible étant donné la profession de l'auteur. Saul est un homme qui ne semble bon qu'à ça, réécrire les scénarios des autres, du moins, c'est ce qu'il pense. En dehors de son métier, c'est un homme qui n'existe pas, il est séparé mais toujours marié de Dianah avec qui il a adopté un enfant, Billy, qui est désormais en deuxième année d'études à Harvard. Après ce rapide tableau, on pourrait penser que tout ne peut qu'aller dans la vie de Saul, seulement, c'est tout le contraire ! En effet, il pense être atteint de problèmes, de "maladies" comme il aime les nommer. Il ne peut plus être en état d'ébriété par exemple, eh oui, les gueules de bois sont à présent terminés ! Malgré tout cela, personne ne semble croire que Saul peut avoir de vrais problèmes, et surtout pas Dianah qui ne perd jamais une occasion pour lui faire toujours la même ribambelle de reproches. 




Steve Tesich, Karoo.
Les choses deviennent réellement intéressantes dès l'apparition de Leila Millar, une actrice sans talent que Saul a aperçu dans un film qu'il doit modifier. Va alors se développer un lien particulier entre eux, mais également avec Billy qui va passer de plus en plus de temps avec son père et sa nouvelle compagne. 
Si l'histoire vous dit, n'hésitez pas à aller jeter un coup d'oeil, car, ce que je dis là ne représente que les prémices d'une oeuvre éloquente et surtout riche en sentiments. 
J'ai été totalement subjuguée par la tournure des évènements, l'auteur fait diversion par le biais de la relation entre Billy et Leila, cette diversion, je ne l'ai pas vu venir et encore moins la suite. Je ne comprenais pas encore vraiment l'enjeu, où l'auteur voulait aller, mais c'est une véritable tragédie qui se déroule sous nos yeux, une tragédie grecque, mythique. Je me suis retrouvée pantoise, toute seule devant mon bouquin à me demander si c'était une blague, si Steve Tesich n'était pas en train de se payer ma tête. 
Eh bien, non, il ne se moquait pas. Même encore maintenant je ne saurais dire si son cliffhanger aux trois quarts du roman était une bonne idée, cependant, en le commençant, je m'attendais à tout sauf à ça. Je suis très rarement surprise que ce soit dans la littérature ou encore dans le cinéma, pourtant, là, je suis restée stupéfaite, ébahie. 
J'ai également beaucoup apprécié l'aspect psychologique très présente dans le roman, Saul étant décrit comme un personnage intelligent qui n'a pas son pareil pour cerner ses rencontres. 
Comme beaucoup de longs romans, l'installation prend du temps, Karoo ne déroge pas à la règle, cependant, une fois passée les cent premières pages, on ne peut qu'admirer ce récit à la première personne, cet humour cynique, sarcastique auquel on se percute, à l'image de Saul, Leila et Billy, et leur accident de voiture. 


Plus qu'un roman sur la vie d'un homme, il s'agit aussi d'une critique, critique dénonciatrice de la société américaine qu'il dépeint comme égoïste et surtout fou. C'est une adaptation mythique moderne, qui se peint dans un fou, désillusionnée, monde où n'est que factice souvent représenté avec le personnage de Jay Cromwell.

"C'est un peu comme si, à un certain moment de leur vie, leurs âmes avaient été déchirées en deux. Juste au moment où ils s'étaient adaptés et avaient trouvé un moyen de vivre heureux avec une moitié d'âme, ils avaient alors rencontré la personne même qui possédait l'autre moitié. Les bords déchirés et dentelés, comme les deux moitiés d'une carte au trésor, se complétaient parfaitement."
Steve Tesich, Karoo.


Ce roman fait partie de ceux qui nous font ressentir une pointe au coeur quand on arrive à la dernière page, le dernier paragraphe, la dernière phrase et enfin le dernier mot. Je ne voulais pas le finir, égoïstement je voulais le garder pour moi, toujours, mais il m'est impossible de ne pas terminer une oeuvre, je l'ai donc lu, dévorée avidement comme Saul boit ses gins-tonics. 

"Le soleil, en tant que présence suffocante, plongea et disparut dans ma vue, mais il ne serait pas exact de dire que je l'ai vu se coucher. Les ombres cédèrent devant le crépuscule qui les absorba, puis le crépuscule céda devant la nuit. La lune s'éleva légèrement à la gauche de ce palmier solitaire planté au centre du rond-point."
Steve Tesich, Karoo.











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